Le cri de l'oie blanche
plusieurs souvenirs pénibles et neuf enfants qui
grandissaient tellement que leur jeunesse à eux était devenue une denrée du
passé.
Blanche l’accueillit avec un visage de
circonstance. Elle lui annonça que ni Paul, ni Marie-Ange, ni Rose ne pouvaient
se déplacer. Elle hocha la tête. Ses propres enfants coupaient facilement ce
cordon qui les reliait à un passé de plus en plus distant. Émilien lui dit
qu’il aurait bien voulu les joindre mais qu’il en avait été incapable. Elle
essaya de lui passer une main dans les cheveux pour le remercier de son
attention mais il s’éloigna. Elle fronça les sourcils devant ce signe
d’agacement. Il lui demanda si son père était là. Elle lui répondit par
l’affirmative et il courut en direction de la maison de son oncle. Clément fit
un mouvement pour le suivre puis, changeant d’idée, se rassit à la table.
– Tu vas pas voir mémère, Clément ?
– Tantôt. Avec tout le monde.
Elle savait que Clément était celui de ses
enfants qui était le plus attaché à sa grand-mère et se demanda combien il
pouvait en vouloir à son père pour ne pas se précipiter auprès de la morte.
Afin de ne pas le faire languir, elle pressa tous les autres enfants.
Ils entrèrent dans la maison de Ti-Ton par la
cuisine de façon à éviter le salon, la morte y étant exposée. Le silence se
fit. Rolande lui tenait la main gauche avec tellement de force que son alliance
lui blessa le majeur. Ils attendirent dans la cuisine pendant qu’Ovide allait
chercher Ovila. Celui-ci quitta Émilien qui était assis à ses côtés et se
dirigea vers eux. Il se planta devant les enfants, les regarda un à un, tentant de sourire du fait que Rolande s’était
cachée derrière sa mère. Il s’approcha de Clément et lui tendit la main.
Clément regarda la main veinée mais ne la serra pas. Ovila pinça les lèvres et
se dirigea vers Blanche. Elle fit un petit salut de couventine et lui souhaita
la bienvenue comme s’il avait été un parfait étranger. Il se planta ensuite
devant Jeanne qui, les sourcils froncés, cherchait à le restituer dans ses
souvenirs. Elle ne l’avait pas vu depuis six ans. Alice, elle, lui sourit. Pour
toute récompense, il éclata en sanglots devant elle avant de se tourner vers
Émilie pour lui demander pardon. Émilie trouva la scène de mauvais goût.
Ovila lui prit le bras que Rolande lui
abandonnait et la dirigea vers le salon. Les enfants suivirent. Émilien vint se
joindre à eux pour réciter quelques dizaines de chapelet. Il jeta un coup d’œil
furtif en direction de sa mère. Elle avait les lèvres scellées.
Ils veillèrent le corps pendant trois jours,
le temps de permettre à tous les Pronovost d’arriver pour les funérailles.
Rosée fut la dernière venue, des orages incessants ayant ralenti son voyage
depuis Cap-de-la-Madeleine. Ovila habita chez son frère. Pour faire taire les
questions qui auraient pu être posées, il veilla de nuit. Émilien colla à lui
comme une ombre.
Ils enterrèrent Félicité aux côtés de Dosithée
et de leurs quatre enfants, le 9 juin. Vingt
et un ans, jour pour jour, après qu’Émilie eut ressenti les premières douleurs
de la naissance de Rose.
***
Ovila tournait en rond, allant de la fenêtre à
la table, de la table à la fenêtre. Bientôt Émilie rentrerait. Depuis le début
de l’après-midi, l’inspecteur était dans sa classe. Les élèves étaient partis.
Il se demandait ce que l’inspecteur avait à lui dire. Il le vit enfin quitter
l’école, s’asseoir dans sa voiture et se diriger vers Sainte-Thècle. Émilie
monta presque aussitôt, d’un pas plus lourd que d’habitude.
Elle pénétra dans la cuisine, se dirigea vers
la pompe et se versa un grand verre d’eau. Elle but goulûment et s’étouffa.
Ovila courut à son secours et lui tapota le dos .
Elle s’essuya les yeux, cracha un peu puis se tourna vers Rolande.
– Va donc rejoindre Clément dans la
classe, Rolande. Je pense que tu pourrais l’aider à laver les ardoises.
Rolande se leva et descendit rapidement
l’escalier. Quand la maison eut cessé de vibrer, Émilie se dirigea vers la
table et s’assit, face à Ovila.
– J’ai jamais vu ça de ma vie. Les élèves
ont pas réussi à avoir une bonne réponse.
Elle était resplendissante de colère. Comme la
bonne vieille Émilie qu’il avait connue .
– C’est pas tout ! Il a demandé aux
élèves ce qu’ils avaient le plus aimé cette
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