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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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survolé
l’école une dernière fois pour regarder sa belle-fille et s’assurer qu’elle
était bien. Sans Félicité pour lui raconter le passé de la famille et d’Ovila,
Émilie se sentirait suspendue quelque part entre nulle part et nulle part.
Félicité avait eu assez de tact pour ne pas lui reprocher d’avoir laissé partir
Marie-Ange et Rose. Elle l’avait comprise quand elle lui avait expliqué la
brouille qui s’était épaissie entre elle et Marie-Ange, lui offrant même de lui
rembourser le prix du voyage en taxi. Mais Émilie n’avait pas accepté.
    Maintenant, maintenant qu’elle voyait luire
les lampes dans la maison d’Éva et qu’elle n’osait demander à Ovide si Ovila
était là, elle sentait son cœur battre follement sur les parois pourtant
élargies de sa poitrine.
    – Je sais pas à quoi tu penses, Émilie,
mais si tu te demandes si mon frère est rentré d’Abitibi, la réponse c’est oui.
    Il était là. Et Ovide n’avait pas prononcé son
nom. Il n’avait même pas dit « ton mari ». Non. Ovila était redevenu
son frère. La famille, nouée par la mort de Félicité, reprenait ses droits de
propriété sur chacun de ses membres.
    La maison, qui lui avait semblé tellement
éclairée de l’extérieur, lui parut sombre quand elle y pénétra. Elle déposa sa
valise, ôta son chapeau et regarda autour d’elle pour trouver un endroit où le
suspendre. Éva, occupée à se moucher, ne vint pas à son secours. Elle lança
donc le chapeau sur le dossier d’une chaise à défaut de lui trouver un crochet.
    Elle chercha Ovila des yeux. Il n’était nulle
part en vue. Ovide lui prit le coude et la dirigea vers la chambre de la morte.
Si seulement elle avait pu s’éveiller, effacer ce cauchemar de ses pensées,
elle aurait pu dire quelque chose à ses beaux-frères et belles-sœurs. Un mot
gentil. Une bonne parole. Mais elle était résolument muette en suivant Ovide,
n’attendant qu’un instant : celui où elle verrait Félicité figée pour toujours
et Ovila…
    Il était agenouillé à côté du lit, la tête
enfouie dans l’édredon. Il sanglotait. Elle sentit qu’Ovide lui avait libéré le
coude. Elle se tourna pour le remercier mais il avait disparu. Même dans le
chagrin, il avait pensé à ses émois à elle. Elle s’approcha du lit, du côté
opposé à celui qu’Ovila occupait, se pencha et baisa le front ridé de sa
belle-mère. Du coin de l’œil, elle vit Ovila lever la tête puis la laisser retomber
dans sa niche chaude et humide. Elle se redressa et passa une main dans les
cheveux épars de Félicité avant de se rendre compte qu’elle pleurait à chaudes
larmes. Elle se demanda lequel de ses chagrins la blessait. Celui du décès de
Félicité ou celui du retour d’Ovila ? Celui du souvenir de la mort de son
père ou celui du départ de ses enfants ? Celui de son ennui ou celui de
ses espoirs ternis à l’air de la vie ?
    – Oh !… Émilie.
    Il avait parlé. Il l’appelait. Comme il
l’avait appelée dans des milliers de rêves. Et, comme dans ses rêves, elle se
dirigea vers lui. Il se levait maintenant. Comme dans ses rêves. Et, comme dans
ses rêves, elle lui prenait la tête pour la poser sur son épaule.
    Émilie dormit mal. L’incessant reniflement
d’Ovila, le sourire de Félicité qui ne cessait de se dandiner au plafond de ses
pensées empêchaient le sommeil de calmer ses angoisses. Ils n’avaient pas
parlé. La soirée avait été interminable, remplie de soupirs et de sanglots.
Personne n’avait osé prononcer un seul mot sur leur présence à tous deux.
Personne non plus ne s’était étonné qu’ils montent dormir dans la même chambre.
Éva leur avait préparé deux lits. Ils n’en avaient pris qu’un. Maintenant, elle
le regrettait. Il dormait à ses côtés et, n’eût été le chagrin qu’elle
éprouvait, son âme aurait été vide de sentiments.
    Ils suivirent le corps jusqu’à Saint-Tite. Le
corbillard les précédait, véhicule échauffé par un soleil dardant. Émilie
s’essuyait les yeux trempés de sueur. Ovila essuyait les siens, gorgés de
remords. Le silence qui les entourait avait la distance d’années de séparation
et la profondeur de la forêt qu’ils avaient mise entre eux. Émilie le regardait
occasionnellement, surprise de voir que rien en lui ne l’émouvait. Ni ses yeux,
ni ses épaules, ni même son chagrin. Ils n’avaient plus rien en commun sauf
quelques souvenirs heureux,

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