Le cri de l'oie blanche
demander
l’aumône.
Ni Antoinette ni elle n’osèrent ajouter un mot
à cette remarque, sachant toutes les deux qu’il n’en serait rien.
Émilie quitta Antoinette en se demandant si
jamais elle la reverrait.
DEUXIÈME PARTI E 192 3- 192 9
1 5
Tout s’était passé si brusquement. Sa sœur
Marie-Ange et sa mère s’étaient brouillées pour une histoire de taxi. Sa mère
lui avait raconté que Marie-Ange n’avait pas aimé le pensionnat de
Trois-Rivières et avait décidé, un bon matin, de rentrer à Saint-Tite. Moins de
trois mois après le début des classes ! Sa mère lui avait aussi raconté
que Marie-Ange avait fait le trajet en taxi ! Trois-Rivières – Saint-Tite
en taxi ! Sa mère avait dit qu’elle avait dû débourser tout un mois de
salaire.
Elle avait revu sa sœur aux fêtes mais pas à
Pâques. Marie-Ange était partie pour Montréal. Y vivre ! Sa mère leur
avait expliqué qu’elle et Marie-Ange avaient décidé que, puisqu’elle ne voulait
pas étudier, il valait mieux qu’elle se trouve un bon emploi en ville.
Marie-Ange avait discuté parce qu’elle ne voulait pas aller à Trois-Rivières.
Sa mère aurait préféré cette solution pour que son frère Paul ait des visiteurs.
Mais Marie-Ange lui avait tenu tête et c’était à Montréal qu’elle avait trouvé
un bon emploi. Elle travaillait pour un dentiste. Comme assistante. Sa mère
avait soupiré en disant qu’au moins elle s’était trouvé un emploi honorable.
Ensuite, ils avaient reçu une lettre de Rose
qui leur annonçait qu’elle voulait quitter St. Albans pour travailler au
Canada. Elle avait écrit que maintenant qu’elle savait parler anglais, elle
pourrait se trouver un meilleur travail. Sa mère avait répondu à Rose qu’il
était préférable qu’elle demeure à St. Albans jusqu’à ce qu’elle ait vingt-cinq
ans. Rose n’avait pas écouté et elle était arrivée l’été suivant avec son bagage
et son anglais. Sa mère avait donc demandé à Marie-Ange de partager sa chambre
avec elle et de l’aider à trouver du travail. Rose était donc repartie pour Montréal
et elle avait écrit pour leur dire qu’elle aussi avait un bon emploi. Elle
vendait des cigarettes et des journaux à la gare Viger. Sa mère avait haussé
les épaules et s’était contentée de dire qu’elle espérait que Rose se
débrouillait assez bien en anglais pour pouvoir dire non.
Paul aussi avait eu des problèmes. Il avait
fait une pneumonie et sa mère avait dû le faire hospitaliser à Trois-Rivières.
Quand Paul avait été complètement guéri, sa mère avait fait de la couture pour
deux ou trois dames de la paroisse. Tout ce qu’elle avait dit, c’était que plus
personne ne pouvait se permettre d’être malade à moins d’être indépendant de
fortune.
Adeline avait quitté l’école pour se marier et
tous ensemble – ceux qui étaient là – ils lui avaient fait une petite fête. Une
nouvelle institutrice était venue remplacer Adeline. Mais elle leur parlait
peu, passant ses soirées et ses congés à l’église. Sa mère, elle, y allait très
rarement. Ses jambes étaient marbrées de varices et la marche la fatiguait.
Elle refusait de s’y rendre en automobile, alléguant que ce n’était pas bon
pour la santé.
Maintenant tout allait encore plus mal. Sa
grand-mère était tellement malade que son oncle Ovide avait expédié un
télégramme à son père, lui demandant de venir. Depuis que son oncle avait fait
ça, sa mère n’avait cessé de courir à la fenêtre. Ses jambes, apparemment, ne
lui faisaient plus mal. Ce télégramme était parti depuis plus d’une semaine et
sa grand-mère s’accrochait à la vie. Elle voulait voir tous ses enfants. Son
oncle avait expédié un second télégramme. Cette fois, il avait reçu une
réponse : son père était en route et devait arriver sous peu.
Sa mère avait nettoyé la table comme elle le
faisait toujours, laissant le sucrier et le beurrier en place pour le déjeuner
du lendemain. Parce que l’année scolaire s’achevait, les religieuses lui
avaient permis à elle, non à Jeanne et à Alice, de rentrer à la maison, pour
« soutenir sa famille devant cette épreuve ».
Le mois de juin était apparu depuis trois
jours. Pendant qu’Émilie enseignait, Blanche surveillait Rolande qui babillait
sans arrêt. À cause de la visite imminente de l’inspecteur et de l’agonie de sa
grand-mère, sa mère avait passé ses trois
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