Le cri de l'oie blanche
année. Sais-tu ce qu’ils ont
répondu ? La journée où on est allés aux sucres ! Ensuite, il leur a
demandé ce qu’ils avaient le moins aimé. Sais-tu ce qu’ils ont répondu ?
Ma règle !
Il aurait voulu rire mais il se tut, la
couleur des joues d’Émilie indiquant qu’elle était en proie à des émotions trop
fortes. Il se contenta donc de la fixer, l’air le plus compatissant possible,
et de l’écouter religieusement.
– Ma maudite règle !
Ovila leva un sourcil.
– Je l’ai perdue avant Pâques. J’avais
bien l’impression que quelqu’un me l’avait prise, mais j’avais pas de preuves.
Sais-tu quoi, Ovila ? C’est Saül qui me l’avait chipée pis cachée
dans le fossé. À la première pluie, je l’ai trouvée flottant comme un radeau.
Ovila ne lui posa pas de questions. Il ne fit
non plus aucun commentaire. Émilie passa à sa chambre pour se changer. Elle ne
gardait jamais dans la maison une robe qu’elle portait pour enseigner. Il
l’entendit ouvrir et refermer des tiroirs. Il l’entendit même soupirer et jurer
tout doucement. Décidément, il devrait attendre que son humeur change s’il
voulait lui reparler de Duparquet.
L’humeur d’Émilie ne changea pas. Quand ses
trois filles revinrent du couvent – Blanche y étant retournée pour deux
semaines –, elle avait encore la ride au front et la lèvre serrée. Ce que
l’inspecteur lui avait dit l’agaçait ; la présence d’Ovila, à laquelle
elle ne parvenait pas à s’habituer, lui portait sur les nerfs, et le fait de ne
pas avoir reçu de lettre de Marie-Ange, Rose ou Paul la blessait. Maintenant,
elle voyait venir l’été comme s’il s’était agi d’un enfer de chaleur à
supporter. Avec son ventre de femme dont la fécondité ne cessait d’agoniser,
lui faisant tourner la tête, l’assaillant de bouffées de chaleur toutes plus
inconfortables les unes que les autres, elle ne voyait pas comment elle
pourrait supporter le soleil, l’humidité et les insectes. Elle n’avait qu’une
ambition : s’asseoir avec de la glace sur la tête et ne plus bouger.
Joachim Crête choisit le dernier samedi de
juin pour venir étouffer toutes ses aspirations au calme. La maison était sens
dessus dessous. Ovila répandait des copeaux de bois sur le plancher. Émilien
était parti pour le travail sans faire son lit. Les filles criaient et
s’arrachaient les cheveux à cause de trois morceaux de linge qu’elles se
disputaient. Clément ne cessait de répéter qu’il aurait préféré être dans un
poulailler plutôt que d’entendre ses dindes de sœurs glouglouter comme elles le
faisaient.
Joachim Crête, fidèle à ses habitudes, entra
sans frapper. Ovila le regarda, surpris, et appela Émilie sans prendre la peine
de le saluer.
– Émilie ! Un commissaire qui se
prend pour quelqu’un de la famille est ici pour te voir.
Émilie sut de qui il était question et
s’empressa de boutonner son chemisier. L’inspecteur avait dû mettre son projet
à exécution… Elle pénétra dans la cuisine et demanda à Joachim s’il préférait
être seul avec elle. Il lui répondit que non en se laissant tomber sur une
chaise qui gémit sous le poids. Émilie resta plantée debout, le regardant avec
dédain, sachant qu’encore une fois il venait pour l’humilier.
– J’imagine, Joachim Crête, que tu es pas
venu ici pour me parler de la température.
– D’une certaine manière, oui… C’est que
ça commence à chauffer.
Satisfait de son entrée en matière, Joachim
regarda Ovila bien en face pour s’assurer qu’il avait réussi son effet.
Question de faire languir Émilie, il décida d’engager la conversation avec ce
dernier.
– Pis, Ovila, est-ce que tu es de passage
ou est-ce qu’on va recommencer à te voir à l’hôtel ?
Ovila, imperturbable, ne répondit pas, se
contentant de regarder la déconfiture d’Émilie.
– Ouais, on dirait que le bois t’a pas
rendu plus jasant. Remarque que là où tu restes, ça donne pas grand-chose de
parler. Les arbres pis les animaux peuvent pas ben ben te répondre.
Ovila sortit sa pipe de sa poche de chemise,
la frappa sur son talon pour la vider des quelques miettes qui y adhéraient, la
bourra lentement pendant qu’Émilie regardait tomber les râpures de tabac sur la
nappe. Elle faillit s’emporter lorsque Ovila nettoya le tout minutieusement
avant de se frotter les mains au-dessus du plancher. Il craqua une allumette
avec l’ongle de
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