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Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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l’école, elle se
tourna vers ses enfants. Leurs yeux pétillaient du plaisir qu’ils avaient eu à
voir Crête, qu’ils détestaient tous franchement, hurler comme un putois. Émilie
essaya de réprimer le fou rire qui l’assaillait, puis, n’y tenant plus, pouffa.
Son rire la soulagea de quatre années de mépris. Ses enfants l’imitèrent.
Reprenant ses sens, elle voulut les gronder légèrement de se moquer du malheur
d’autrui.
    – Vous-même vous riez, moman.
    – C’est pas un vrai rire. C’est juste
nerveux. J’ai eu tellement peur.
    – Peur de quoi ?
    – Peur… euh… ben, peur de lui avoir fait
mal. Un accident, ça arrive tellement vite. C’est tellement bête.
    Ils ne la crurent pas, préférant encourager le
rire que leur fatigue assaisonnait. Elle leur enjoignit de se coucher et ils le
firent sans se faire prier. Ils en auraient pour des heures à se raconter les
yeux de Joachim, et son cri, et la couleur de sa peau, et les cloques, et le
beurre qui dégoulinait, et le rire de leur mère. Ce merveilleux rire qu’ils
n’avaient pas entendu depuis si longtemps.
    Ovila et Émilien rentrèrent plus de deux
heures après qu’elle se fut couchée, repue. Satisfaite de son
« accident ». Ovila se glissa doucement à côté d’elle. Elle se
tourna.
    – Tu dors pas ?
    – Non.
    – J’ai décidé que je partirais dans deux
jours. Avec Émilien.
    Sa joie s’évanouit. Elle s’assit et d’une main
brusque se dégagea le front du rideau de cheveux qui lui obstruait la vue.
    – Comment ça, avec Émilien ?
    – C’est son idée. Pas la mienne.
    – J’ai besoin de lui.
    – Moi aussi.
    Elle se leva, enfila ses pantoufles et courut
au lit de son fils. Il l’attendait.
    – Viens dans la cuisine.
    Il la suivit, pas aussi docilement qu’elle
l’aurait voulu.
    – C’est quoi, ces histoires-là ?
    – J’ai envie d’aller travailler en
Abitibi. C’est pas plus compliqué que ça. Je vas m’en aller avec pâpâ. Comme
ça, vous allez moins vous inquiéter.
    – Moins m’inquiéter ! Es-tu
fou ? Tu vas laisser ton travail, ta famille, pour t’en aller dans le fond
des bois ?
    – Pas toute ma famille, moman. Je pars
avec mon père.
    – C’est lui qui te l’a demandé ?
    – Non. C’est moi. Moi aussi, j’ai envie
de voir du pays…
    – C’est pas du pays, ça, Émilien !
C’est de la misère.
    – D’abord, j’ai envie de voir de la
misère.
    Elle sut qu’il n’y avait pas de discussion
possible. Elle ne pourrait l’empêcher de partir. Il ne lui restait qu’à espérer
qu’il se lasse des moustiques et du froid, de la plaine et du vide.
    – Pourquoi est-ce que vous venez pas,
moman ?
    Elle ne voulut pas répondre. Plus tard, bien
plus tard, quand il pourrait comprendre, elle lui expliquerait. Elle ne
pouvait, aujourd’hui, lui décrire l’attente et la déception. Elle ne pouvait
lui exposer sa peur. Et ses besoins. Et ses espoirs envolés. Non, elle ne
pouvait encore rien dire. Peut-être ne le pourrait-elle jamais. Mais elle
s’était juré, dans le train qui la ramenait de Shawinigan, qu’elle laisserait
partir ses enfants s’ils voulaient retrouver leur père. Le moment était venu de
se plier à sa promesse.
    Elle s’approcha de son fils, lui ouvrit les
bras et il s’y précipita. Elle lui caressa longuement l’arrière de la tête.
    – Demain, on va préparer ton bagage.
    Le lendemain, Ovila invita Émilie à faire une
promenade. Elle accepta, sachant qu’elle ne pouvait reporter indéfiniment la
mise au point qui s’imposait. Ils marchèrent côte à côte dans le rang du Bourdais
jusqu’à la montée des Pointes. Émilie hésita avant de s’y engager, sachant que
cet endroit exerçait sur elle une fascination au goût du passé. Mais, forte de
ses convictions, elle le suivit. Lorsqu’ils furent rendus au sommet de la
colline, Ovila se tourna vers elle et la regarda tristement.
    – C’est ici que j’ai commencé à te
perdre, Émilie.
    Elle préféra ne rien répondre. Ici, et ailleurs.
Partout où ils étaient allés ensemble, il avait perdu un morceau de son
admiration, de sa confiance et de son amour. Mais elle n’avait pas l’intention
de le lui dire. Il ne le savait que trop bien.
    – Quand je suis venu au lac Éric, je te
jure que j’étais certain que plus jamais je pourrais dire que tu me manques. À
c’t’heure, j’en suis pas si certain. Est-ce que ça se pourrait, Émilie, que tu
repenses

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