Le cri de l'oie blanche
deux
pour saluer ceux qui restaient sur le quai. Émilie agita la main sans grand
enthousiasme. Dans le clin d’œil d’Émilien, elle lut qu’elle pouvait lui faire
confiance, qu’il ne l’abandonnerait jamais. Dans le regard d’Ovila, elle
comprit que leurs chemins se séparaient pour toujours. Elle lui fit un petit
signe de tête, pour l’encourager à continuer seul. Il grimaça en essayant de
lui sourire.
1 7
Blanche en voulait à sa mère. Elle aurait aimé
qu’elle lui explique les raisons pour lesquelles ils n’étaient pas tous partis
pour l’Abitibi. Elle avait entendu parler son père, le soir de la visite de
M. Crête, et s’était réjouie. L’Abitibi ! Une vie comme celle des
premiers colons. Elle enviait terriblement son frère d’être parti. Si seulement
elle avait été un garçon, elle aussi aurait fait ses valises et serait montée à
bord de ce train de l’aventure.
Au lieu d’être là-bas à regarder naître des
villages, à accueillir les nouveaux arrivants, peut-être à enseigner dans une
petite école – on ne sait jamais, elle était maintenant plus instruite que la
majorité des gens –, elle était coincée ici à préparer le déménagement. L’école
du rang sud. Comment sa mère avait-elle pu accepter d’enseigner dans cette
école ? Loin de la parenté. Une école encore plus laide que celle du lac
Eric. Sa mère faisait parfois des choses qu’elle ne pouvait absolument pas
comprendre. Clément avait annoncé qu’il se trouverait du travail. Sa mère avait
rugi. Elle lui avait dit qu’à douze ans il continuerait d’user ses pantalons
dans une classe et non dans une manufacture. Clément avait boudé. L’école ne
l’intéressait pas. Il en savait assez. Il avait même dit à sa mère qu’il
n’avait qu’une ambition : travailler dans les chantiers. Sa mère avait
soupiré et dit qu’elle ne voulait pas entendre parler de chantiers. Elle
voulait entendre parler d’histoire, de géographie, mais pas de chantiers.
Sa mère, parfois, était impossible à
comprendre. Elle leur disait qu’il fallait apprendre à ne dépendre de personne
et elle ne voulait pas qu’ils mettent cet enseignement en pratique. Elle leur
disait que l’argent n’avait pas d’importance, mais elle se plaignait chaque
fois qu’elle devait payer quelque chose. Elle leur racontait que, toute jeune,
elle était partie à l’aventure, mais elle pleurait quand un de ses enfants
faisait la même chose. Elle répétait que seule l’instruction comptait, mais
elle devenait morose quand elle recevait une lettre de Paul et qu’il écrivait
des choses qu’elle ne comprenait pas. Sa mère était tellement paradoxale. Mais
Blanche l’aimait plus que tout au monde. Parce qu’elle savait rire de petites
choses sans importance. Parce qu’elle savait raconter les histoires comme
personne d’autre, sauf peut-être son oncle Ovide… Parce qu’elle n’avait pas
crié quand Émilien, voulant réparer les notes collées de son accordéon, avait rendu
l’instrument à jamais muet. Parce qu’elle était tellement belle, tellement
instruite, tellement serviable. Mais elle n’avait pas d’amis, sauf l’oncle
Ovide et la tante Antoinette qui lui écrivait souvent et qui promettait
toujours de venir la visiter. Elle n’avait pas souvenir d’avoir vu cette tante
qui vivait à Montréal. Mais sa mère en parlait comme d’une personne extraordinaire
qui la comprenait… Elle aurait bien aimé parler à cette tante pour qu’elle lui
explique sa mère dont elle devinait maintenant un peu plus le chagrin.
Pendant le mois de juin, elle et Clément
avaient espéré que leur père était revenu pour toujours. Jour après jour, ils
l’avaient regardé sculpter un petit morceau de bois, attendant qu’il leur
raconte ses aventures. Leur père s’était contenté de leur dire qu’ils étaient
beaux et gentils et qu’il était fier d’eux. Il avait parlé avec Émilien mais
pas avec Clément. Elle, elle savait que Clément en avait été blessé. Sa mère ne
semblait pas s’en être aperçue.
Maintenant, il leur fallait s’installer dans
le rang sud. Loin de tout. Elle détestait ce rang. Enseigner dans le rang
sud ? Un mois plus tôt, elle avait sérieusement pensé que l’enseignement
était la chose la plus extraordinaire du monde. La journée où elle avait
remplacé sa mère avait été une des plus belles de sa vie. Elle n’avait même pas
été gênée d’avoir à
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