Le cri de l'oie blanche
parlé. Il avait le talent d’artiste
d’Ovila.
Napoléon regarda sa montre et se leva. Il
voulut prendre congé mais Émilie l’invita à souper avec eux. Il refusa poliment
mais promit de les visiter le lendemain.
– Blanche, où est-ce que tu l’as rencontré ?
Blanche raconta tous les événements. Une seule
chose l’agaçait. Elle aurait voulu, elle, être excitée. Sa mère l’était trop à
son goût. C’était sa mère qui répétait sans arrêt qu’il avait fière
allure ; que sa dent d’or lui donnait un air coquin et riche ; que
c’était merveilleux qu’il fût fils unique et d’un père notaire en plus ;
qu’il lui faisait penser à Henri Douville par ses bonnes manières. Ce soir-là,
Blanche s’endormit en pensant à la dent d’or de Napoléon. En pensant qu’enfin
il lui arrivait quelque chose d’extraordinaire. En espérant qu’il la trouvait
belle. En priant pour qu’il revienne le lendemain.
Napoléon était au rendez-vous. Il tenait un
bouquet de marguerites, de lys et de roses sauvages. Blanche fut touchée. Elle
hésita avant de faire monter Napoléon, humiliée de n’avoir rien d’autre que des
combles à lui montrer. Il ne réagit nullement, s’attardant davantage au coin de
travail de Blanche et à la vue sur l’hippodrome qu’il y avait derrière l’école.
Blanche en fut soulagée. Ils passèrent la soirée à discuter de leurs projets
respectifs. Napoléon avait l’intention d’étudier en droit dès son baccalauréat
ès arts terminé. Blanche, elle, lui annonça, à la grande surprise d’Émilie,
qu’elle voulait enseigner et raconta la journée qu’elle avait vécue dans la
classe de sa mère. Émilie l’écoutait attentivement, tout étonnée de découvrir
une force de caractère assez exceptionnelle derrière la timidité de sa fille et
la douceur du bleu de ses yeux.
Napoléon devint un habitué de l’école du rang
sud. Blanche l’attendait – tout en faisant mine de ne pas le faire – et, dès
qu’elle entendait pétarader sa moto, elle se précipitait à la fenêtre pour le
regarder, droit, fier et souriant. Napoléon répondait à tous ses rêves les plus
fous.
Émilie dut s’habituer à voir partir sa fille,
assise derrière Napoléon, les deux bras lui enserrant la taille. À son insu,
ils se dirigeaient vers le rang du Bourdais, passaient sur la terre de Ti-Ton
et prenaient le chemin du lac à la Perchaude. Là, Napoléon enseignait à Blanche
les rudiments de la conduite d’une moto. Blanche riait aux éclats chaque fois
qu’elle calait le moteur.
Il ne restait que cinq jours avant le départ
de Napoléon pour Trois-Rivières. Blanche se demandait comment elle pourrait
revivre dans la grisaille du couvent, loin des sentiers, loin du bruit de la
moto, loin de Napoléon. Émilie évitait le sujet, reconnaissant dans le trouble
de sa fille la crainte de l’attente. Elle avait bien essayé de se dire qu’une
amourette de vacances n’avait rien de sérieux, mais elle se souvenait trop bien
que ces amours étaient enrobées de la chair encore tendre et fragile d’un jeune
cœur.
Blanche et Napoléon s’assirent sur les rives
du lac à la Perchaude, là où son père et sa mère s’étaient assis le soir de
leur mariage. Blanche cacha son chagrin. Napoléon eut, lui, la sagesse de ne
pas crâner. Son désarroi était réel.
– Est-ce que tu vas m’écrire ?
– C’est difficile. Les sœurs lisent
toutes nos lettres. Je pourrais même pas en recevoir de toi sans que ça fasse
toute une histoire.
– C’est pas un problème. J’vas te les
adresser chez toi. Pis tu vas pouvoir faire la même affaire.
– Toi, c’est pas pareil. Tu vas ch ez vous à tous les dimanches. Moi, j’vas venir seulement
à la Toussaint.
– Inquiète-toi pas. J’vas trouver un moyen.
Ils ne parlèrent presque plus de la soirée, se
tenant par la main, regardant l’eau et soupirant chacun leur tour. Blanche
espérait qu’il allait l’embrasser. Voyant qu’il ne bougeait pas, elle se
demanda si ce n’était pas à elle de le faire. Elle y pensa et y repensa. Elle
comprit qu’il attendait, lui aussi. Elle abandonna sa main et lui enserra
l’épaule. Napoléon se tourna et l’appuya contre un tronc d’arbre. Ils
s’embrassèrent enfin et Blanche n’eut qu’un regret : celui de ne pas avoir
osé plus tôt.
Ils revinrent vers l’école et Blanche fut
heureuse d’être assise derrière lui. Il ne pouvait voir ses larmes. Il
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