Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Le cri de l'oie blanche

Le cri de l'oie blanche

Titel: Le cri de l'oie blanche Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
Vom Netzwerk:
à tout ça pis que tu me fasses la surprise d’arriver ? Tu m’as
dit que tu voulais pas venir à cause de l’instruction des enfants. Me semble
qu’à présent ça veut pas dire grand-chose. Les garçons ont fait ce qu’ils
devaient faire. Pis les filles, c’est pas aussi important de les instruire.
    Émilie se tourna lentement. Il lui semblait
entendre son père quand il lui avait dit que, pour une fille, elle était bien
assez savante… Maintenant, Ovila lui répétait des propos semblables. Les temps
ne changeaient pas. Ovila, fidèle à lui-même, la décevait.
    – Ovila, ça, c’est une des raisons, tu le
sais. Il faudrait pas que tu oublies que c’est pas la seule.
    – J’ai changé, Émilie. J’ai une job
steady bien payée. La boisson…
    – À d’autres qu’à moi, Ovila. Ça fait pas
tout à fait un mois que tu es ici, pis j’ai même pas assez de doigts pour
compter les soirs que tu as bu toute une grosse bouteille de fort. Vas-tu
passer ta vie à pas te regarder ?
    Ovila donna un violent coup de pied au sol.
Émilie sursauta.
    – Tu m’as jamais donné de chance,
hein ? Jamais une petite chance.
    – C’est pas vrai. J’ai eu dix enfants
pour le prouver.
    – C’est facile à faire, des enfants.
    Émilie arrêta net. Facile à faire !
Facile à faire ! Elle n’eut pas le goût d’en entendre davantage.
    – Charles Pronovost ! C’est
peut-être facile à faire, mais je les ai jamais faits par devoir. Mets ça dans
ta pipe ! Je connais pas beaucoup d’hommes qui peuvent se vanter d’avoir
eu une femme qui se faisait pas prier. Pis ça, Charles Pronovost, c’est parce
que j’avais confiance. Je dis bien « j’avais ». C’est peut-être
facile à faire, mais c’est difficile à élever. Mais ça, tu sais même pas ce que
ça veut dire. À c’t’heure, tu vas me faire le plaisir de retirer tes paroles
pis de réfléchir à ce que tu viens de me dire.
    – Parle-moi pas sur ce ton-là !
Parle-moi plus jamais sur ce ton-là ! Tu me chaufferas plus jamais les
oreilles comme si j’avais quinze ans. Est-ce que tu m’entends ?
    Émilie haussa les épaules et rebroussa chemin.
Ovila continua à vociférer puis, las de répéter les mêmes choses, il la
rejoignit.
    – Émilie, on est à l’âge où on pourrait
commencer à avoir du bon temps. Pourquoi est-ce que tu veux pas donner une
chance à la vie ?
    – J’ai donné toutes les chances à la vie,
Ovila. La vie a jamais gagné, même quand j’essayais de tricher un peu.
    – Tu veux rien entendre, hein ?
    – Oui. Je serais prête à entendre comment
tu as l’intention de m’aider à payer les études de Paul pis celles des filles…
    – L’argent ! Toujours le maudit
argent…
    – C’est bien parce que j’ai pas trouvé un
autre moyen de payer l’épicier.
    – Ça donne rien d’essayer de jaser avec
toi. Ta tête de mule a juste grossi avec les années.
    Émilie sourit. Sa tête de mule. Où était-elle,
cette tête de mule dont elle avait été si fière ? Mule parce qu’elle
refusait d’aller vivre en Abitibi ? Mule parce qu’elle voulait donner de
l’instruction à certains de ses enfants ? Mule parce qu’elle l’avait
empêché de l’approcher, de crainte que son ventre en chamaille ne conçoive
encore une fois ? Non, elle n’avait plus de tête de mule qui agissait
avant de réfléchir. Qui ne pensait qu’à l’instant présent. Maintenant, tous ses
gestes étaient greffés à son grand cahier vert dans lequel elle faisait des
colonnes et des colonnes d’additions et de soustractions pour toujours en
arriver au même résultat : zéro. Elle n’avait plus rien. Ni jeunesse, ni
amour, ni avenir, ni sommeil, ni même de réputation. Elle n’avait que des
bouches à nourrir, au détriment du plaisir qu’elle aurait encore pu avoir.
Maintenant, demain avait deux allures : celle des valises d’Émilien et
celle des boîtes qu’elle devrait commencer à remplir pour son prochain
déménagement. Sa vie n’avait plus d’horizon.
    Le train se fit attendre. Ovila jura pendant
qu’Émilien s’impatientait. Émilie, elle, gémissait en silence du départ de ce
fils qu’elle avait porté sur son dos pendant
des mois avant de le faire baptiser. Son papoose à elle. Ce fils qu’elle
avait tant espéré. Maintenant, il partait, l’air heureux comme un homme qui
part à l’aventure. Un homme… Elle avait fait un homme.
    Le père et le fils se tournèrent tous les

Weitere Kostenlose Bücher