Le cri de l'oie blanche
peut-être glissant.
– Voyons donc, moman. On voit même pas un
flocon. Le soleil est beau comme en été.
Elle repartit en direction du village et se
dirigea vers la gare. Elle appuya sa bicyclette contre le mur et entra.
– Puis ?
– C’est arrivé à neuf heures.
Blanche déplia le papier nerveusement sous
l’œil intéressé du chef de gare qui réussissait mal à cacher sa curiosité. Elle
sourit, replia le papier et le mit dans une de ses poches. Elle sortit son
porte-monnaie et paya le chef de gare. Elle pédala ensuite jusqu’au presbytère,
sonna à la porte et fut reçue par le curé.
– Si je ne suis pas appelé à donner les
sacrements, je ne devrais pas avoir de problèmes, Blanche.
Elle rentra à la maison après être allée
acheter une dinde et s’affaira autour du poêle.
– Qu’est-ce qui te prend, Blanche ?
Je t’ai jamais vue popoter comme ça.
– J’avais tellement envie de manger de la
dinde. Pensez-vous qu’une dinde de dix livres ça va être cuit pour le
souper ?
– Pas de problème. Vingt ou vingt-cinq
livres, j’aurais pas juré, mais dix livres… Sais-tu que c’est le plus beau
cadeau de la Toussaint que j’aie jamais eu ? Une dinde ! Une vraie
folie, mais ça sent tellement bon.
– Pis ça va être la meilleure dinde que
vous ayez mangée depuis Noël passé.
– J’ai pas mangé de dinde depuis
Noël !
– C’est pour ça que ça va être la
meilleure.
Sa mère éclata de rire et elle l’imita. Elle
aimait tellement entendre rire sa mère. Ce soir, elle l’entendrait rire encore
plus fort, encore plus joyeusement…
Le soleil commençait à se glisser sous sa
couverture lorsque Blanche entendit le son qu’elle attendait. Ils étaient
là !
– J’vas aller chercher de l’eau au
chemin.
– Laisse faire ça, Blanche. C’est la
corvée de Clément.
– J’ai envie de prendre l’air. Ça vient
chaud quand on cuit une dinde toute la journée.
Elle descendit l’escalier aussi lentement
qu’elle pouvait. Elle s’installa sur le bord du chemin pour voir apparaître la
lumière du phare de la moto de Napoléon. Le son précéda la lumière le temps
d’une courbe.
Napoléon enleva son chapeau d’aviateur. Paul
descendit à son tour, sautillant pour se réchauffer les pieds. Blanche se
dirigea vers son jeune frère et le reconnut à peine, tant il avait changé. Tant
il était beau et grand.
– Paul ! Je suis donc contente que
tu sois ici. Moman va perdre connaissance.
– Tu lui as pas dit ?
– Es-tu fou, toi ? Une surprise,
c’est une surprise.
– Pourquoi toutes ces cachettes-là,
Blanche ? Moman est pas bien ?
– Oui pis non. Tu me diras ce que tu en
penses.
Elle se tourna enfin vers Napoléon. Maintenant
qu’il était là, elle ne savait que lui dire. Dans ses lettres, elle ne
tarissait pas. Le papier était moins intimidant que son brillant sourire.
– Merci, Napoléon.
– Ça pouvait pas mieux tomber. Mes
parents sont à Montréal.
Le curé Grenier arriva à ce moment. Paul et
Napoléon le saluèrent en chuchotant. Il leur tapota l’épaule, heureux d’être le
complice d’une si bonne idée.
– Bon, moi je remonte. Arrivez dans cinq
minutes. J’vas juste avoir le temps de mettre la table.
Blanche déposa son seau et sortit les
assiettes, nommant les convives presque à haute voix. Sa mère, absorbée dans sa
broderie, ne réagit pas. Blanche cachait son rire.
– C’est amusant d’avoir autant de monde à
table.
– Qu’est-ce que tu dis ?
– Je dis que c’est amusant d’avoir autant
de monde à table.
– Oui. Ça change de mes soupers avec
Clément. Hein, Clément ?
Clément compta les couverts. Intrigué, il
regarda sa sœur. Elle mit son index sur sa bouche et il ne parla p as.
– Il me semble que j’entends quelqu’un dans
l’escalier. Allez donc voir, moman.
– Qu’est-ce que tu dis ?
– J’ai dit que ça frappait à la porte.
– Vas-y donc, Clément. Ça doit encore
être un quêteux.
Désemparé, Clément feignit de ne pas avoir
entendu. Blanche s’affaira aux chaudrons. Émilie soupira, déposa son travail et
se dirigea vers la porte.
– Bonsoir, Émilie. Ça sentait la dinde
jusqu’au village. J’ai pensé que vous deviez en avoir trop. Je me suis permis
d’amener des visiteurs avec moi.
Émilie n’avait pas eu le temps de se remettre
de sa surprise que Paul était devant elle, Napoléon derrière
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