Le cri de l'oie blanche
travail
de sa mère.
– Qu’est-ce que c’est, ce fil-là ?
Émilie sourit, caressa son fil, en prit un
brin et le fit tourner entre son pouce et son index.
– Je voudrais avoir l’air misérable que
je te dirais que c’est le fil qui m’accroche à la vie. Mais comme c’est le plus
beau fil du monde…
Blanche s’était levée et approchée d’elle.
Elle prit un brin, le palpa longtemps.
– C’est du crin de cheval, ça !
– On peut rien te cacher, ma Blanche. Ça
vient de la crinière de ma Tite.
Blanche ouvrit et referma la bouche comme un
poisson qui manque d’air. La crinière de sa Tite ? La Tite était morte
depuis des années, depuis la journée du déménagement du lac Eric. Elle retourna
s’asseoir et observa sa mère qui enfilait une nouvelle aiguillée en souriant
d’un sourire tellement absent, tellement éloigné… Qu’est-ce qui était arrivé à
sa mère ?
– Moman, qu’est-ce qui se passe ?
Émilie éclata de rire et répondit qu’il n’y
avait rien d’autre que la routine.
– Une drôle d’école ici, Blanche. Une
bien drôle d’école. Beaucoup d’enfants. Beaucoup. Je dirais même que dans un an , deux au maximum, va falloir rouvrir la deuxième
classe.
Blanche sentit son cœur battre à tout rompre.
Elle connaissait assez bien sa mère pour comprendre le message. Elle se mordit
les lèvres puis y passa une langue rêche.
– Vous savez bien, moman, que dès que je
finis l’année prochaine, je viens enseigner avec vous.
Émilie planta l’aiguille dans son petit sac.
Elle enleva ses lunettes fraîchement acquises et regarda sa fille.
– Est-ce que c’est ça que tu veux faire,
Blanche ? Tu aurais pas le goût d’étudier plus longtemps ?
– Étudier quoi ? La médecine ou le
droit ?
Blanche éclata de rire. Elle venait vraiment,
à son avis, de dire quelque chose de drôle. Émilie ne rit pas. Elle demeurait
tellement sérieuse que Blanche éteignit aussitôt ses éclats.
– Pourquoi pas, Blanche ? Pourquoi
pas ?
Blanche ne sut que répondre. Sa mère était
sérieuse ! Elle n’était manifestement pas bien.
– Je pourrais demander à Henri Douville
de t’aider à étudier. Tu pourrais aller à l’université.
– Voyons donc, moman. J’ai pas envie
d’aller à l’université.
– Tu as tellement de talent. Ça serait
dommage de gaspiller ça.
– Enseigner, c’est pas gaspiller son
talent, moman. On dirait que vous voulez pas que je vienne enseigner avec vous.
C’est le rêve de ma vie depuis tellement d’années. Avant, je pensais que je
serais trop gênée… mais je vous l’ai dit cet été, je le suis plus autant.
Émilie remit ses lunettes et commença à broder
une fleur. Blanche se leva de table, ramassa un seau et sortit.
– J’vas aller chercher de l’eau au
chemin.
La nuit froide et piquante, bleu marine et
blanc la calma un peu. Sa mère, encore une fois, venait d’enchevêtrer toutes
ses pensées. Qu’est-ce qui lui prenait de vouloir qu’elle étudie à
l’université ? Une fille à l’université ! Sa mère n’allait pas bien
du tout. Son obsession de l’instruction prenait des proportions irréalistes.
Elle aurait dû se contenter des succès de Paul. De son ambition maintenant
inébranlable de se diriger vers la prêtrise.
Blanche revint vers l’école, déposa son seau
et s’assit sur les marches. Qu’est-ce que Napoléon dirait ? Il rirait à
gorge déployée, de son rire serti d’or. Blanche plissa les yeux et sourit.
Elle dormit mal, une idée ayant germé
insidieusement dans sa tête. Sa mère s’était contentée de lui dire de repenser
à ce qu’elle lui avait proposé. Elle lui avait promis de le faire. À l’aube du
lendemain, elle avait enfourché sa bicyclette malgré la neige fondante qui
salissait la route et s’était dirigée vers le village. Elle était déjà rentrée,
affamée, quand sa mère s’était levée.
– Je vous ai fait des crêpes, moman.
– Merveilleuse idée. Mais dis-moi donc,
Blanche, depuis quand est-ce que tu te lèves avant le coq ?
– Ça m’arrive quand je pense trop.
Émilie avait acquiescé. Blanche soupira
intérieurement. Sa mère n’avait pas eu connaissance de son absence.
L’avant-midi boita de toutes ses minutes. Vers
onze heures, Blanche annonça qu’elle allait au village. Sa mère lui recommanda
d’être prudente.
– J’ai vu qu’on avait eu une petite neige
cette nuit. Fais attention, c’est
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