Le cri de l'oie blanche
amis de garçons. Les sœurs sont bien bonnes,
mais elles peuvent pas comprendre les X au bas
d’une lettre.
Il regarda le malaise de Blanche. Tellement
différente de sa mère, celle-là. Sa mère lui aurait déjà demandé où il voulait
en venir. Blanche, elle, demeurait imperturbable. Rose sur les joues, tremblotante
des mains, mais discrète comme si toute la conversation ne la concernait pas.
– Crois-tu aux magiciens, Blanche ?
– Hein ?
– Crois-tu aux magiciens ? Tu sais,
comme le grand Houdini ?
– J’ai jamais vu de magicien.
– Laisse-moi te dire que ça manque à ta
culture.
Il piqua sa fourchette dans sa pointe de tarte
aux pommes.
– Bonne pâte !
– Les sœurs ont des bonnes recettes de
pâte à tarte…
– Mais non… Je parle d u petit Frigon. Ça m’a l’air d’être une bonne pâte d’homme.
Blanche demeura plantée devant lui, de plus en
plus perplexe. Elle aurait juré qu’il se moquait d’elle. Mais le curé Grenier
était trop délicat pour se moquer de qui que ce soit.
– Dans un spectacle de magie, les
magiciens font sortir des colombes pis des lapins de leur chapeau. Le chapeau
du magicien, c’est son accessoire le plus important, tu vois. C’est à se
demander comment ils font pour y cacher autant de choses.
Elle desservit le couvert et versa le café.
Elle se demandait si le curé Grenier ne commençait pas à vieillir pour de vrai.
Comme la sœur Sainte-Eugénie l’avait fait avant de mourir. Le curé but son café
en sapant un peu parce que le breuvage était trop chaud.
– Abracadabra !
– Comment ?
– J’ai dit abracadabra. C’est la formule
magique préférée des magiciens. Sauf Ali Baba.
Il y a une minute, j’avais du café dans ma tasse. J’ai dit abracadabra et le
café a disparu ! C’est tout.
Maintenant, elle s’inquiétait vraiment. Le
café n’avait pas disparu. Il l’avait bu ! Le curé se leva de table, se
signa, fit une courte prière, se signa de nouveau et se dirigea vers la porte.
– Voyons, voyons, où est-ce que j’ai mis
mon chapeau ? Ha ! c’est vrai, je ne l’avais pas apporté aujourd’hui.
Il mit la main sur la porte et tourna la
poignée. Blanche regarda le chapeau suspendu au crochet.
– Monsieur le curé, il est ici, votre
chapeau.
– Où ça ?
– Ici !
Elle prit le chapeau et le lui tendit.
– C’est pas mon chapeau.
– Mais oui. C’est votre chapeau.
– Est-ce que mes initiales sont
dedans ?
Blanche tourna le chapeau pour y lire
l’inscription. Sous le ruban intérieur du chapeau, elle vit une lettre, bien
pliée. Elle comprit enfin.
– Abracadabra !
– Ho ! vous ! Ho !
vous ! Vous m’avez eue.
Elle prit l’enveloppe. Une lettre de
Napoléon ! Pour elle. Le curé Grenier rit aux éclats devant sa surprise.
– Futé, le petit Frigon. Futé. J’imagine
que tu lui avais dit que tu étais responsable de mes repas. J’ai reçu la lettre
hier. Adressée à moi. Avec un petit mot poli évidemment. Futé, le petit Frigon.
Il veut être avocat, hein ? Je pense qu’il a ce qu’il faut.
Il prit son chapeau des mains de Blanche.
– Tiens ! Mon chapeau est vide.
Il se le mit sur la tête en souriant à une
Blanche perplexe.
– Pose-toi pas de questions. Un vieux
comme moi, curé ou pas, ça a des fois des raisons de faire des choses disons…
pas orthodoxes.
Blanche écrivit à Napoléon, qui lui répondit
aussitôt. Bientôt, le curé apporta deux lettres par semaine et Blanche en vint
à deviner, à la hauteur du chapeau sur sa tête, s’il cachait ou non un message.
Quand il entrait dans la salle à manger, Blanche observait la ligne sur son
front et se contentait de dire un seul mot : abracadabra. Le curé
répondait par un hochement de tête.
Le congé de la Toussaint vint enfin et Blanche
boucla ses valises et celles de ses sœurs. Rolande ne tenait plus en place, sa
mère lui manquant terriblement.
Elles furent enfin dans l’école du rang sud et
Blanche eut un choc. Sa mère avait vieilli de dix ans depuis son départ en
septembre. Elle défit les valises, demanda à ses sœurs de se coucher et
s’installa à la table de la cuisine. Émilie brodait un sac à main avec un fil
rigide et doré.
– Qu’est-ce que vous faites, moman ?
– Un petit sac de rien du tout. Avec de
la broderie.
Blanche savait que sa mère éludait la réponse
à sa question. Elle se tut encore un peu, de plus en plus intriguée par le
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