Le cri de l'oie blanche
une accolade et Blanche entendit un bruit de bises sans rien sentir sur
sa joue. Paul, enfin, la serra dans ses bras et lui avoua qu’elle n’avait
jamais été aussi belle. Napoléon entendit la remarque. Il se tourna vers Blanche
et lui sourit. Elle lui rendit son sourire. Les lumières de Noël illuminèrent,
cette nuit-là, deux dents d’or.
Le repas du réveillon était servi sur une
longue table d’acajou couverte d’une nappe de dentelle. Blanche l’examina d’un
œil de connaisseuse. La mère de Napoléon l’invita à s’asseoir à la droite de
son mari qui, lui, siégeait à la tête de la petite assemblée. Outre Blanche et
Paul, les Frigon avaient invité le parrain et la marraine de Napoléon,
M. et M me Paul-André Laverdière. M. Laverdière était
juge. Blanche demeura assise sans broncher, le dos droit et les mains posées au bord de la table – à la ligne du poignet.
Maintenant, pensait-elle, elle devait mettre en application tout ce qu’elle
avait appris au couvent sur les bonnes manières. Son cœur rata un battement
quand elle pensa que sa mère devait tourner autour de sa table râpeuse pour
servir à ses sœurs et à Clément un morceau de tourtière décoré de
marinades. Elle connaissait assez bien sa mère pour savoir qu’elle devait rire
un peu trop fort, faire un peu trop de jeux de mots et raconter un peu trop
d’histoires. Elle devait aussi se demander, à toutes les minutes, ce
qu’elle-même et Paul faisaient.
Un bruit sec la sortit de ses pensées. Une
dame vêtue de noir avec un petit tablier blanc bien empesé venait de faire son
entrée dans la salle à manger. À en juger par le son, elle avait dû ouvrir la porte battante en la poussant avec son plateau métallique.
Elle le déposa sur une desserte et prit deux assiettes qu’elle porta devant M me Frigon
et M me Laverdière. Blanche eut la troisième. Dans l’assiette,
elle vit cinq petites asperges qui baignaient dans une espèce de sauce
blanc-jaunâtre. Elle regarda ses ustensiles et soupira. La sœur Sainte-Eugénie
lui avait déjà parlé de l’aristocratie française et lui avait raconté que
parfois il y avait jusqu’à douze fourchettes à côté de l’assiette. Blanche se
souvint que la religieuse lui avait dit qu’il fallait toujours commencer par la
fourchette de gauche. Elle attendit poliment que tous les convives fussent
servis puis prit sa fourchette. Elle respira en voyant M. Frigon choisir
la même.
– Vous aimez les asperges en mayonnaise,
Marie-Blanche ?
M. Frigon la regardait, souriant. Elle
lui répondit que oui, heureuse d’apprendre qu’elle mangeait une mayonnaise.
Elle jeta un coup d’œil en direction de Napoléon qui, lui, ne la quittait pas
des yeux. Pendant toute la durée du repas, elle n’ouvrit plus la bouche,
M. Frigon préférant nettement observer ses réactions plutôt que de lui
demander son opinion. Paul et Napoléon, eux, semblaient s’amuser follement.
Elle fut heureuse de voir arriver le dessert. Elle prit sa dernière fourchette
en soupirant de soulagement.
Ils sortirent de table et M. Frigon les
invita à passer au salon pour chanter. Elle rougit jusqu’à la racine des
cheveux. Elle ne pouvait absolument pas chanter. M me Frigon se
dirigea vers le piano. Blanche l’envia quand elle vit ses doigts effilés
glisser sur les notes et attaquer les premiers accords d’un cantique. Ils
chantèrent tous pendant une bonne heure, durant laquelle la dame au tablier
venait remplir les verres d’un digestif jaune. Napoléon fit un clin d’œil à
Blanche avant de demander le silence.
– Si vous me le permettez, j’ai quelque
chose à remettre à Marie-Blanche. J’ai aussi quelque chose à vous annoncer.
Blanche tiqua. Elle détestait que Napoléon
l’appelle Marie-Blanche. Ensuite, elle se souvint qu’elle avait apporté un
petit quelque chose pour la mère de Napoléon. Elle prit son sac à main et
sortit le petit cadeau qu’elle avait enveloppé. Elle se leva et le remit à M me Frigon.
Cette dernière l’ouvrit en poussant toutes sortes de petits cris que Blanche
trouva insignifiants et elle découvrit enfin un mouchoir bien plié.
– Oh ! le joli mouchoir de lin brodé de dentelle !
Blanche s’efforça de sourire, se demandant
pourquoi M me Frigon avait dit cette phrase. Tout le monde
voyait qu’il s’agissait d’un mouchoir de lin brodé de dentelle. Napoléon s’empressa de demander à Blanche si c’était elle
qui
Weitere Kostenlose Bücher