Le cri de l'oie blanche
abandonna le bras de Blanche pour se signer et
hâta le pas.
– On va être inondés !
Dépêchons-nous, Marie-Blanche. Il faut avertir la supérieure au plus vite.
Dans son empressement, elle oublia
complètement de reprendre le bras de Blanche et de la protéger. Blanche la
suivit, incapable de souffler sur les gouttes de pluie qui l’aspergeaient sans
vergogne, dégoulinant sur son visage de la racine des cheveux jusqu’au menton.
Elle était encore étourdie et acceptait finalement assez bien cette pluie torrentielle
qui la tenait éveillée. Elle mordit sa ouate et ne vit pas le sang se mêler aux
coulisses d’eau.
Elles arrivèrent au couvent et l’infirmière se
précipita en direction du bureau de la supérieure sans prêter attention à la
religieuse qui, les deux bras en l’air, lui criait qu’elle dégouttait partout,
qu’elle n’avait même pas enlevé ses couvre-chaussures, et lui demandait de quel
droit elle se permettait de marcher sur « son » plancher fraîchement
ciré comme on marche dans une écurie.
L’alerte fut donnée au couvent comme dans
toutes les maisons. Les religieuses et les élèves bouchèrent toutes les
fenêtres qui donnaient près du sol, s’énervant chaque fois qu’elles voyaient
l’eau s’infiltrer à quelques endroits. Blanche, elle, était étendue sur son lit,
un bras lui cachant les yeux. Elle écoutait la pluie qui ne tambourinait plus
mais martelait littéralement les fenêtres du dortoir. Elle mordit sa ouate et
grimaça.
Le lendemain, 2 octobre,
Blanche faisait une fièvre carabinée et demeura au chaud dans un lit de
l’infirmerie pendant que les autres pensionnaires écopaient des cinq pieds
d’eau qui noyaient le sous-sol. L’infirmière ne cessait de la bourrer de
quinine, félicitant le dentiste d’avoir extrait cette dent qui, manifestement,
avait été infectée, vu la fièvre qui, maintenant, était apparue. Blanche se
contenta de lui demander de l’eau. Ses trois sœurs vinrent la visiter,
heureuses d’échapper pour quelques minutes à la « corvée
inondation ». Jeanne hochait la tête en regardant la mine défaite de sa sœur.
– C’est de valeur. Moman va être triste
de voir qu’il te manque une dent. Pis juste en avant à part de ça.
Blanche répondit que c’était en effet dommage
et qu’elle verrait ce qu’elle pourrait faire. Elle leur fit pourtant promettre
de ne pas en parler à leur mère.
– Je suis capable de payer le dentiste
toute seule. Je voudrais pas que moman se mette martel en tête pour une si p’ tite affaire.
L’inondation occupa les gens pendant des jours
et des jours. Ils ne parlèrent plus que de pertes et dégâts, de solages brisés,
de chambres froides remplies d’eau et de légumes flottant comme des chaloupes.
« L’hiver va être long pis dur »,
disaient-ils. « Quand on perd tous ses oignons, ses patates, ses carottes
pis ses choux… Quand les cannages sont dans l’eau, les couverts rouillent pis c’est pas sûr que ce qui est dedans va pas pourrir. »
Blanche, elle, put enfin quitter l’infirmerie,
l’inondation de son nez et de ses yeux la troublant davantage. À cause du froid
et de la pluie, elle avait contracté une grippe carabinée.
À la mi-octobre, un gel acheva de déprimer les
villageois, glaçant les quelques pouces d’eau qui n’avaient pu se résorber et
faisant des rues et trottoirs une patinoire pour professionnels. Saint-Tite, à
en juger par le nombre de chevilles foulées et fracturées, de côtes fêl ées, de genoux écorchés, de coudes éraflés, de
coccyx écrasés et de têtes bosselées que le médecin dut soigner, ne comptait
pas beaucoup d’athlètes. En une journée, les hommes de la ville qui tenaient
encore debout – la plupart d’entre eux ayant mis des clous dans les semelles de
leurs couvre-chaussures – avaient répandu des tonnes de cendre et de sable.
Deux jours plus tard, à la messe du dimanche, le curé Grenier ne put s’empêcher
de rire du haut de sa chaire en regardant ses paroissiens.
– J’ai l’impression d’être aumônier dans
un hôpital de guerre, dit-il.
Les paroissiens qui ne souffraient pas trop
osèrent s’amuser. Les autres demeurèrent cois, murmurant que le curé n’avait
pas de cœur pour rire d’un malheur. Ils auraient tous faim.
En novembre, l’hiver s’installa
définitivement. Les hommes abattirent plus d’animaux. À défaut de légumes, ils
auraient de la viande. Blanche, elle, se
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