Le cri de l'oie blanche
plus
détestable.
– Maman…
– Laisse-moi parler, Napoléon. J’aime la
franchise.
Elle reporta son attention sur Blanche.
– Moi aussi, je viens d’un petit village,
de Grondines, et je n’ai jamais senti le besoin de mentir pour faire oublier ma
condition de fille de cultivateur. Pourquoi avez-vous menti ?
– J’ai pas menti, madame. J’ai fait le
mouchoir et le collet.
M me Frigon, exaspérée, sortit
le mouchoir de sa poche et le mit dans les mains de Napoléon.
– Peut-être, mon fils, devrais-tu savoir
que sur ce mouchoir il y a de la dentelle française !
Napoléon éclata de rire. Blanche, elle, se
leva trop calmement et remit sa chaise en place, prenant soin de la soulever
pour éviter d’érafler le plancher. Elle s’avança vers Napoléon et lui prit le
mouchoir des mains. Elle l’enfouit dans une de ses poches puis marcha lentement
vers l’escalier. Elle ne se retourna pas lorsque Napoléon l’appela. Elle se
dirigea vers la chambre de Paul qui, justement, s’apprêtait à en sortir.
– Je m’en vas. Est-ce que tu veux venir
me reconduire ? Je sais pas l’heure du prochain train mais ça me fait rien
d’attendre toute une journée !
Napoléon, qui l’avait rejointe à l’étage, lui
prit le bras.
– Tu peux pas faire ça, Blanche. Ma mère
pensait me rendre service.
– Ta mère m’a rendu service à moi,
Napoléon.
– Si tu retournes à Saint-Tite
aujourd’hui, je viens avec toi.
Blanche le regarda bien en face et vit que
dans sa figure à lui il y avait de la peur.
– Je pars tout de suite, Napoléon.
En moins de temps qu’il n’en faut pour le
dire, elle quitta la maison de Napoléon, sans saluer ses parents. Elle leur
enverrait un mot. Aujourd’hui, elle n’avait pas envie de revoir la bouche mince
comme une pelure d’oignon de M me Frigon. Ni ses petits yeux
trop rapprochés qui lui donnaient un air fouineur. Ni ses joues rougies par une
crème malodorante. Ni ses cheveux noués en chignon, tenus par une résille qui
se voulait invisible. Une autre fois. Une autre fois, peut-être qu’elle
pourrait la trouver belle. Elle en avait été capable au sortir de la messe de
minuit.
Napoléon marchait d’un pas ferme à ses côtés
pendant que Paul courait derrière eux, ne cessant de demander ce qui se
passait. Il avait à peine eu le temps de boucler sa valise.
Blanche acheta son billet et fut heureuse
d’apprendre qu’il y aurait un train dans moins d’une heure. Un train spécial
pour le jour de Noël, qui permettait aux travailleurs des usines de
Trois-Rivières de visiter leurs familles. Napoléon aussi s’acheta un billet.
Paul attendit avec eux et les salua quand ils montèrent, confondu par toute la
commotion causée par sa sœur.
Ils arrivèrent à Saint-Tite avant le souper.
Napoléon porta la valise de Blanche et ils prirent une voiture pour se rendre
jusqu’à l’école du rang sud. Blanche ne cessait de regarder Napoléon,
consciente, maintenant qu’elle connaissait sa famille, qu’il avait posé un
geste important. Juste avant que l’automobile ne s’arrête devant l’école, il
sortit l’écrin de sa poche, prit la bague que Blanche lui avait remise, lui
souleva la main en souriant, enleva sa mitaine et glissa le bijou à son
annulaire. Blanche embrassa le bijou.
Émilie fut presque choquée de voir rentrer sa
fille. Elle allait lui demander des explications quand Napoléon lui fit signe
de s’en abstenir.
Napoléon pis moi, moman, on a pensé que
c’était plutôt drôle de passer une partie de la journée de Noël à
Trois-Rivières pis l’autre ici avec vous.
Elle embrassa sa mère, son frère et ses sœurs,
et enleva son manteau. Elle ne garda que ses mitaines. Puis, voyant que sa mère
était intriguée, elle tira lentement sur son pouce gauche et enleva la mitaine.
Émilie aperçut la bague et s’assit. On frappa à la porte et Rolande accourut
pour ouvrir. N’entendant rien, Émilie s’y dirigea à son tour.
– Mon Dieu Seigneur !
Blanche se précipita derrière sa mère, alertée
par la voix d’Émilie. Sa mère n’avait ce ton que lorsqu’elle était en état de
choc.
– Marie-Ange ! Rose !
Elles entrèrent toutes les deux, suivies d’un
homme d’au moins trente-cinq ans à ce qu’il sembla à Blanche. Marie-Ange
s’empressa de le présenter. Georges était son fiancé.
La soirée fut des plus heureuses. Marie-Ange
fit rire Napoléon par ses reparties humoristiques et
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