Le cri de l'oie blanche
réjouissait du fait que sa gencive
était maintenant complètement cicatrisée. Elle demanda à la directrice la
permission de retourner chez le dentiste, permission qui lui fut accordée. Elle
put même s’y rendre sans chaperon. Le dentiste fut étonné par sa requête mais,
quand elle lui donna l’argent nécessaire, il lui demanda de revenir le voir
dans une semaine, ce qu’elle fit. Au début de décembre, elle écrivit à Napoléon
qu’elle acceptait son invitation.
Sa mère n’y vit pas d’objection, se
réjouissant du fait que sa fille fût enfin présentée au notaire. Heureuse,
aussi, de savoir que Paul et elle assisteraient ensemble à la messe de minuit à
Trois-Rivières. Sa mère, qui ne fréquentait toujours pas l’église, y allait
quand même pour la messe de minuit, « entendre le chant ».
Blanche quitta Saint-Tite par le train,
agitant un mouchoir pour que sa mère la voie bien à travers la fenêtre
illuminée certes mais brouillée de neige folle. Elle traînait une valise de
gros carton, entourée d’une courroie qui ressemblait à s’y méprendre à une
ceinture d’homme. Elle y avait bien plié une robe de taffetas bleu sur laquelle
elle avait cousu un col de dentelle carré qui partait du cou, couvrait
l’épaule, descendait au-dessous des omoplates à l’arrière et reposait sur ses
seins à l’avant. Sa mère lui avait offert la robe mais c’était elle-même qui
avait fait la dentelle du col. Elle avait enfilé un manteau gris pâle, taillé
dans une couverture de la Belgo, auquel sa mère avait ajouté un capuchon. Le
col et le capuchon étaient bordés de renard blanc, récupéré sur un vieux
manteau abandonné dans l’école. Blanche portait des mitaines en angora rose que
Jeanne lui avait tricotées. Elle s’était longuement regardée dans le miroir, se
souriant à pleines dents, heureuse de l’effet qu’elle produisait. Le bleu de
ses yeux chatoyait comme le taffetas de sa robe.
Napoléon l’attendait à la gare malgré les deux
heures supplémentaires que le train avait prises pour se frayer un chemin sur
la voie enneigée. Dès qu’elle l’aperçut, elle sourit, serrant les lèvres pour
les empêcher de lui découvrir ses dents. Elle devait éviter le choc à Napoléon.
Napoléon prit sa valise avec empressement, lui enserra une épaule et la
conduisit devant une automobile énorme qui, en été, devait être extraordinaire
à voir sans sa toiture.
– On va filer tout de suite à l’église.
Mes parents doivent déjà être là. Paul aussi. J’espère que ma belle princesse a
dormi en cours de route, parce que après la messe de minuit on a un réveillon.
Elle fit un signe de tête. Napoléon la
regarda, intrigué par son silence. Comprenant qu’elle était probablement
intimidée à l’idée de rencontrer ses parents, il parla j usqu’au moment où il immobilisa l’automobile devant l’église. Il
lui ouvrit la portière et elle le prit par le bras. Maintenant, le cœur lui
débattait franchement. Elle se demandait si elle avait eu une si bonne idée.
La messe lui parut interminable. La chorale
chantait tellement bien que les paroissiens semblaient vouloir l’entendre sans
fin. Ce n’était pas comme la chorale de Saint-Tite. Le curé chanta enfin un
percutant lte missa est et ils quittèrent leur banc. Avant d’être
présentée aux parents de Napoléon qu’elle pouvait enfin voir autrement que de
profil, elle lui demanda de se pencher pour pouvoir lui chuchoter quelque chose
à l’oreille.
– J’ai ton cadeau dans ma bouche.
– Quoi ?
– Regarde.
Napoléon la regarda bien en face. Elle sourit
enfin de toutes ses dents. Il cassa son sourire déjà épanoui. Blanche l’imita.
– C’est pas beau ?
Napoléon bafouilla avant de répondre.
– C’est beau, oui. Je serais mal placé
pour dire le contraire.
Il la regarda encore une fois et éclata de
rire. Paul, à côté de lui, lui demanda ce qu’il avait. Ses parents regardèrent
derrière pour voir la réaction des gens. Blanche, elle, se demandait si elle
devait rire ou pleurer.
Aussitôt qu’ils atteignirent le parvis,
Napoléon lui posa une bise sur la joue en la remerciant.
– J’ai été surpris. Mais, à vrai dire,
c’est pas mal beau.
Il s’empressa de la présenter à son père et
Blanche, intimidée par les favoris touffus et les guêtres de ce dernier, fit
une révérence de couventine en tendant le bout des doigts. La mère de Napoléon
lui fit
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