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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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duchesse, et je lui ai intimé de s'aller reposer. Ces gens-là n'ont pas de tenue ! Une autre de mes femmes se tient dans un petit cabinet près de ma chambre. Je me suis recouchée, j'ai entendu le duc rentrer de Versailles. Son équipage est d'un bruyant ! Je me suis éveillée à midi et cette fille m'a apprêtée.
    — Comment se nomme-t-elle ?
    — Jeannette.
    — Son nom ?
    — Raillez-vous, monsieur ? Croyez-vous que je vais encombrer mon esprit avec les noms des domestiques ?
    — Il me semble, madame, que vous connaissiez celui de Marguerite Pindron ?
    — C'est possible, monsieur. Ma première la nommait ainsi.
    — Et celle-ci, comment se nomme-t-elle ?
    — Eugénie.
    — Jeannette a-t-elle évoqué avec vous le drame de la nuit ?
    — Comment voulez-vous, elle ignorait tout ! Elle n'avait pas quitté mes appartements et n'avait vu personne.
    — Madame, puis-je vous prier de me dire ce que signifient les paroles que vous avez prononcées au début de l'entretien : « Cela devait assurément arriver ? »
    La duchesse se leva et d'un geste violent ferma son éventail qui claqua. Son visage parut soudain durci.
    — Évidemment, monsieur. Je reprenais là l'expression d'Eugénie sans y chercher malice.
    — Je suis au désespoir, madame, insista Nicolas. Vous avez ajouté : « J'en appréhendais la nouvelle depuis longtemps. »
    — Monsieur, ne vous obstinez pas. La main de Dieu s'appesantit toujours sur les maisons où ses commandements sont délaissés.
    — Cela est bien général et d'une application assez commune. Croyez-vous, madame, que cette seule assertion convaincrait un magistrat, je parle d'un juge ou d'un procureur, chargé d'une affaire d'homicide ?
    — Des menaces ? Sous mon toit ! Savez-vous à qui vous parlez, monsieur ?
    — Il ne s'agit que d'un conseil de prudence.
    — Il suffit. Je sais ce qu'il me reste à faire.
    Des deux mains, elle ramassa son panier et sortit à grands pas du cabinet dans un frémissement soyeux de tissus. Nicolas soupira. Plus on gravissait l'échelle de la société et moins se manifestait le respect naturel de l'ordre et de la justice.
    — Quelle engeance coriace ! bougonna Bourdeau.
    — Soyons indulgents, tempéra Nicolas. Songeons à la vie qu'elle mène. Le duc n'est pas exemplaire et elle a dû beaucoup supporter. Il n'en reste pas moins que la bonne dame donne à entendre beaucoup de choses par ses réticences. Lie-t-elle les causes lointaines de ce drame à l'état de sa maisonnée ?
    — Reste à savoir, dit Bourdeau, s'il s'agit du désordre de son ministre de mari ou d'une dissipation intérieure tenant aux dissensions et intrigues d'une domesticité nombreuse. Je ne suis pas persuadé que cette grande dame prête une attention bien soutenue aux agissements de ses gens. Tout au plus une oreille distraite aux ragots de ses femmes, le matin à sa toilette.
    — Nous verrons. Allez me chercher les deux femmes de chambre. Provence vous aidera à les trouver. Il ne doit pas être loin, il rôde toujours dans les antichambres. À ma disposition, il est vrai !

    Nicolas s'approcha de la cheminée qui ronflait. Il frissonnait. Ces grands feux vous asséchaient la gorge sans vous réchauffer, sauf à se rôtir les cuisses au plus près. Quelle étrange affaire ! Malgré l'horreur des faits, elle apparaissait au premier abord médiocre et banale. Certes, la présomption dominait d'une affaire de cœur entre un barbon et une jeunesse, mais nombre de détails ne cadraient pas avec l'ensemble des constatations et des témoignages jusqu'alors recueillis, et apparemment convergents. Le tableau, qui se présentait à Nicolas et qu'on voulait lui faire accepter, laissait soupçonner, sous son vernis uni, des retouches et des reprises étranges. Et que dire de ce mystérieux évadé déambulant dans les ténèbres de l'hôtel de Noblecourt et disparaissant, après une dernière étreinte sanglante avec l'une des colonnes du portail ?
    Il fut tiré de sa rêverie par le retour de Bourdeau accompagné d'une femme en tablier et en coiffe. Il se demanda aussitôt pourquoi elle cherchait à se vieillir et à s'enlaidir. Il était sans doute dans l'ordre des choses de ne pas susciter de comparaison avec la duchesse. Les cheveux tirés sous la coiffe rendaient plus aigu un visage aux traits pourtant réguliers et qu'illuminait un splendide teint laiteux. Des lèvres minces, comme volontairement aspirées, tendaient les

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