Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
importance, car une femme de chambre en service ne portait jamais de bijoux apparents. Cela laissait penser que Marguerite Pindron avait souhaité mettre ce soir-là un peu de coquetterie dans son apparence. De là à supposer un rendez-vous avec un galant… La qualité des mules aussi intrigua Bourdeau. Il faudrait connaître la provenance de ces objets de luxe. Pour le reste, ses constatations recoupaient celles du commissaire. Il fouilla méticuleusement les lieux pour trouver un objet ayant pu causer une blessure aussi atroce. En vain. Au terme de sa quête, il regarda, comme à l'arrêt, l'angle d'une paillasse. Il se baissa et recueillit délicatement entre deux doigts un petit morceau de fil métallique qu'il tendit à Nicolas.
— Il doit s'agir, dit celui-ci, d'un fil d'argent. Que vous en semble ?
— Vous voyez juste. Quelqu'un s'est heurté à cet angle de bois entamé. C'est un nid à échardes. Un habit brodé s'est accroché et a perdu ce vestige. Le choc a dû être brutal et, dans sa hâte, le porteur de l'habit ne s'est rendu compte de rien.
Qui, dans le souvenir de Nicolas, portait souvent un habit surbrodé d'argent ? Le feu roi, bien sûr ! Un autre encore ? Il cherchait désespérément dans sa mémoire. La silhouette du duc de la Vrillière se profila. Il copiait souvent les tenues de son maître. À deux reprises, depuis ce matin, le commissaire avait parlé au ministre. Il revoyait un habit gris, mais ne parvenait pas à envisager la nature des broderies. Eussent-elles été d'argent que cela d'ailleurs ne prouvait rien : le duc avait visité ses cuisines et dans l'animation de la découverte du crime pouvait s'être accroché à la paillasse. Enfin, il faudrait vérifier. Une seule certitude : il ne s'agissait pas d'un fragment de l'habit du maître d'hôtel, dont la couleur était tout autre. Il glissa soigneusement le petit brin d'argent entre les pages de son carnet noir, puis donna le signal d'emporter le corps de la femme de chambre. Nicolas décida de remonter à l'entresol et de s'installer avec Bourdeau dans le bureau à lui départi. Ils y poursuivraient les interrogatoires. Dans les antichambres, ils croisèrent Provence qui cheminait à pas menus, se fondant dans l'ombre des murailles.
— Monsieur Bibard, dit Nicolas, que portait votre maître en rentrant de Versailles ce matin ?
L'homme eut une expression indéfinissable qui aurait échappé à quelqu'un moins habitué que le commissaire à scruter les visages.
— Un manteau noir sur un habit de soie noire, monsieur. Nous observons à la lettre le deuil de cour.
— Mais, ce matin ? Il me semble…
— Ce matin, dès son retour, monseigneur s'est changé. Il a revêtu un habit gris.
— Brodé, l'habit ?
— Brodé de fleurs en argent.
— C'est bien cela ! Voyez, Bourdeau, je ne me suis pas trompé. Le feu roi en possédait un identique. La fidélité du ministre est touchante, en vérité. Merci, Provence.
L'homme s'inclina, il paraissait soulagé.
— Encore une chose, ajouta Nicolas. Veuillez faire venir dans mon cabinet le suisse, le concierge et le cocher de monseigneur, pour commencer. Je souhaite les entendre en compagnie de l'inspecteur Bourdeau.
Ils gagnèrent le cabinet de travail dont Bourdeau, mi-admiratif, mi-narquois, examina les splendeurs. Le commissaire attendait une de ces remarques acerbes dont Bourdeau était coutumier mais elle ne vint pas et il se dit que le plaisir de se voir replonger dans l'action avait décidément le plus heureux effet sur le caractère de son adjoint.
— Au fait, Nicolas…
L'usage du prénom revenait dès qu'ils étaient seuls.
— Avez-vous remarqué que notre femme de chambre a de curieux dessous ? Ne voyez surtout rien de libertin dans cette question.
— Dieu m'en garde, je vous connais trop ! Mais que voulez-vous dire ? s'étonna Nicolas.
— Eh bien, voilà. Les temps sont étranges et vous savez mieux que moi que l'honnêteté des femmes prend de nos jours de bien curieuses apparences. À l'entrée d'un spectacle ou d'une promenade, si une élégante, descendant de sa voiture, laisse mesurer des yeux toute l'étendue de ses jambes aux oisifs curieux, elle ne saurait être taxée d'indécence. Montrer ses mollets est réputé une chose si naturelle que, loin d'user de précautions pour en empêcher la vue, on en facilite la perspective. Ainsi, à sa toilette, toute femme de qualité use d'un long ruban fixé à sa ceinture qui
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