Le crime de l'hôtel Saint-Florentin
travers du temps. La sérénité n'habite que dans l'âme de l'honnête homme, et le maréchal est tout sauf cela. Mais venons-en à vous, racontez-moi donc votre journée.
Le vieux magistrat se cala dans son fauteuil, les yeux mi-clos. Mouchette, que rien de consistant n'était venu satisfaire, entreprit une méticuleuse toilette. Nicolas se lança dans un récit minutieux, attentif à n'omettre aucun détail. Il avait parfois constaté l'étrange capacité de M. de Noblecourt à s'imprégner des données d'une affaire. Sa réflexion conduisait souvent à des considérations étranges, mais qui se révélaient fréquemment d'une sagace prémonition. Le récit de Nicolas fut ponctué d'exclamations de satisfaction et de surprise, puis Noblecourt demeura un long moment silencieux tandis que Nicolas, altéré par son discours et le sel du jambon, achevait la bouteille de vin rouge de champagne qu'il jugea fauvelet, rosé entre blanc et roux, couleur œil-de-perdrix, et d'une légèreté revigorante.
— Je vous fais d'abord mon compliment, dit enfin Noblecourt. Votre disgrâce commencée aux cerises s'achève aux poires ! Beaucoup en voudraient du même genre ! Vous revoilà en selle, et soyez assuré que M. Le Noir, dont je persiste à présumer la bonne foi, reviendra sur ses préventions. Fasse le ciel que l'affaire dans laquelle on vous entraîne ne soit pas un piège propre à effondrer les plus belles espérances ! Vous hochez la tête ? Réfléchissons. Le duc de la Vrillière passe au-dessus de la tête de son lieutenant général de police. Ce n'est pas un service qu'il vous rend. Il vous implique dans une affaire touchant sa maison et son domestique. Il n'est pas lui-même si bien en cour, et seule sa parenté avec le principal ministre le protège d'un exil annoncé chaque semaine comme imminent. D'un côté, il vous met en situation d'irriter votre chef, et de l'autre vous entraîne, le cas échéant, dans sa chute. Aussi, suivez mon conseil : rendez compte exactement à M. Le Noir. Il vous en saura gré et vos intérêts confondus résisteront aux tempêtes. Continuez de paraître à la cour et tâchez d'informer le roi. Ce qui se passe dans le privé des grands royaumes ne peut le laisser indifférent. Ainsi serez-vous assuré de vos arrières et paré à toute éventualité.
— Je crois votre avis sage et bon et je le suivrai, approuva Nicolas.
— Quant à votre affaire, il n'en est point de plus délicate. Celles touchant au domestique le sont toujours. C'est un monde où la perfidie domine. Prenez vos soubrettes : une femme qui en sert une autre a besoin de bien plus d'art et de souplesse qu'il n'en faut à un homme de la même condition. Point de milieu, une femme de chambre est dans la plus flatteuse intimité ou dans la dépendance la plus humiliante. Un domestique, s'il se veut maintenir, doit toujours avoir réponse prête, aller au-devant du caprice, corriger la mauvaise humeur, tromper l'amour-propre, enfin feindre la sincérité. Tout cela implique fausseté et tromperie. Une noble demeure est un État en miniature, avec ses complots, ses alliances, sa dissimulation et, quelquefois, ses humbles dévouements.
Noblecourt se recueillit un moment avant de poursuivre.
— Ajoutez à tout cela une question essentielle. Pourquoi le duc de la Vrillière a-t-il fait appel à vous ? Vous n'êtes pas, je gage, dupe des compliments et de l'eau bénite de cour qu'il a prodigués à votre égard ? Il vous sait à l'écart et vous rappelle à lui, soit. Mais pourquoi ? En est-il venu à songer que tout s'achète et qu'un homme écarté, enquêtant sur un crime commis dans l'hôtel d'un ministre, pourrait venir à fermer les yeux sur certaines choses ?
— Le croyez-vous capable de cela ?
M. de Noblecourt se redressa et ses deux mains frappèrent les accoudoirs.
— Je m'étonne, monsieur, laissa-t-il tomber, qu'après tant d'années dans la haute police, vous conserviez encore ce fonds d'ingénuité qui fait honneur à votre bon cœur, mais rédime votre clairvoyance. Que voulez-vous, votre vieil ami se doit d'être l'avocat du diable, le pire est toujours possible et ne saurait être écarté a priori . Souvenez-vous de votre peine lorsque, vous-même acteur d'un drame, je vous passais au fil de mon investigation. Ce n'était pas que je vous croyais coupable, mais il fallait écarter cela de la route 21 . Pour discerner en connaissance de cause le faux du vrai, il faut
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