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Le crime de l'hôtel Saint-Florentin

Titel: Le crime de l'hôtel Saint-Florentin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jean-François Parot
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et sa reconnaissance, le soupçonnait d'y trouver un plaisir trouble, nourri d'un solide mépris pour les êtres que favorisait une lancinante fréquentation du crime et des bassesses humaines. Ne tentait-il pas, ce faisant, d'exercer un contrôle tatillon sur Nicolas, comme le dresseur d'une bête enfin domptée vérifie, du bout de sa longe, la qualité de sa servitude ? Peut-être enfin souhaitait-il éprouver la grâce efficace de sa confiance et se persuader que tout n'était pas perdu en ce triste monde. Quant à Nicolas, quelle que soit la réponse qu'il ferait, elle le placerait dans une position ambiguë. Qu'il accepte ou qu'il refuse de se plier aux injonctions de Sartine, les raisons qu'on lui prêterait ne seraient pas les bonnes, et les plus plausibles paraîtraient les moins convaincantes. S'incliner à la demande de son ancien chef lui ferait perdre aussitôt sa propre estime. Il se sentait homme de police, mais non point délateur. Il décida d'être lui-même et de s'en remettre au destin qui, tant de fois déjà, l'avait tiré d'affaire. Le silence qui s'était installé fut rompu par Sartine.
    — Je vous ai posé une question.
    — Nul doute, monseigneur, que vous êtes le mieux placé pour faire la part des choses.
    — Que voulez-vous dire ?
    — Vous venez encore de démontrer votre capacité à être le premier informé de toute chose. Quels que soient les délais, vous rendre compte serait inutile. D'autre part, je ne peux imaginer que le lieutenant général de police, qui vous doit tout, ne s'empressera pas de répondre par le menu à chacune des demandes qu'il vous plaira de lui faire. Qu'aurais-je à m'immiscer, pauvre subalterne, entre vos deux puissances ?
    Le visage de Sartine pâlit et se crispa. Nicolas crut l'entendre marmonner quelques mots un peu vifs dans lesquels il était question de « disciple de Loyola » et « d'émule des jésuites de Vannes ». Mais il se contint et considéra le commissaire avec une sorte de commisération indulgente.
    — Vous n'en ferez jamais d'autre ! Quatorze années de haute police et vous voilà comme devant, pétri d'honneur, de scrupules et de… restrictions mentales. Pourtant pas dépourvu d'habileté, que non pas ! Ah ! le marquis peut être fier s'il voit cela. Tête de Ranreuil et crâne de Breton. Têtu, mais toujours un peu candide. En apparence…
    — Cela fait la deuxième fois, en deux jours.
    — Comment ?
    — Qu'on me traite de candide. M. de Noblecourt, hier soir…
    — Il a cent fois raison, mon vieil ami. Mais, soit. Promettez-moi au moins de m'avertir dans le cas où cette affaire viendrait à éclabousser le trône. À cette requête-là, vous ne sauriez vous soustraire.
    — J'y veillerai, monseigneur.
    — Allons, disparaissez mauvais drôle. J'imagine que vous courez vous livrer avec vos complices ordinaires à quelque sanglant équarrissage si nécessaire pour stimuler votre habituelle intuition.
    — On ne peut rien vous cacher, dit Nicolas en riant. Même l'avenir.
    Sartine, mi-souriant mi-fâché, le menaça du doigt en soupirant.

    Nicolas se dirigeait vers le fleuve, le visage enflammé. Malgré sa fin plaisante, l'entrevue lui laissait un goût amer. Sa joie d'avoir revu son ancien chef le disputait à l'angoisse. Comme la vie était difficile ! Il revit en un éclair le marquis de Ranreuil, son père, marchant à grandes enjambées dans la salle basse du château familial. Devant le petit garçon qu'il avait été, tapi sous la hotte de la cheminée, il pestait contre la médiocrité des temps, lui pourtant si apte à en épouser tous les changements. Il regrettait les temps héroïques quand l'histoire se faisait à grands coups d'épée et que la seule habileté consistait à savoir mourir. Il stigmatisait cette noblesse abâtardie, « de parquets et de lambris, coupée de ses racines et à qui, seuls, persiflages et querelles d'étiquettes dans les salons de Versailles servaient d'horizon ». Nicolas éprouva une nouvelle fois le sentiment de vide qui le saisissait souvent depuis la mort de Louis XV. Chacun agissait comme si son successeur pesait pour rien. Sartine lui-même donnait l'impression de rompre le lien sacré qui le liait au nouveau souverain. Ce n'était plus le même homme et son regard, son intérêt, se portaient désormais vers Choiseul, ébloui par un astre que Nicolas, plus froid ou moins engagé, jugeait depuis longtemps sur une orbite déclinante. Il n'aurait pas

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