Le Crime De Paragon Walk
que Hallam avait dû le cacher et
vous avez assisté à sa déchéance, tourmenté comme il l’était par la crainte de
sombrer dans la folie.
Jessamyn était aussi blanche que les lis sur la tombe, et
elles étaient trempées toutes les deux ; leurs mousselines légères leur
collaient à la peau tel un linceul.
— Vous êtes très maligne, répondit Jessamyn lentement, mais
vous n’avez aucune preuve. Si vous en parlez à la police, je dirai que vous
êtes jalouse à cause de Paul Alaric. Vous n’avez rien à faire ici.
Son visage se durcit.
— Je le sais ! Malgré vos grands airs, vos robes
vous viennent d’Emily. Vous cherchez à vous faire une place parmi nous. Et vous
me dites tout ça par dépit, parce que je vous ai percée à jour.
— La police me croira sans difficulté !
Charlotte se sentit soudain forte et furieuse contre Jessamyn
qui n’avait cure des souffrances occasionnées.
— L’inspecteur Pitt est mon mari, voyez-vous. Vous ne
vous en êtes pas rendu compte ? Et puis, il y a les lettres d’amour. Écrites
de votre main. Et c’est très dur de nettoyer le sang sur un couteau. Il s’infiltre
dans les fissures entre la lame et le manche. Tout cela, ils vont le trouver, une
fois qu’ils sauront où chercher.
L’expression de Jessamyn changea enfin. L’albâtre impavide
céda la place à la haine. Elle brandit les ciseaux et se jeta sur Charlotte, qu’elle
manqua d’un pouce tandis que son pied glissait sur la glaise détrempée.
Galvanisée, Charlotte pivota et se précipita à travers l’herbe
drue et les énormes racines en direction des ifs, puis dans le cimetière. Ses
vêtements mouillés flottaient et s’enroulaient autour de ses jambes. Elle
savait que Jessamyn était derrière elle. La pluie tombait à verse, ruisselant
en torrents jaunes sur la terre craquelée. Elle sautait par-dessus les tombes, se
prenait les pieds dans les fleurs et se cognait au marbre humide des dalles. Un
ange en plâtre surgit devant elle, lui arrachant un cri involontaire.
Une fois seulement elle se retourna pour voir Jessamyn à
quelques mètres d’elle. Les ciseaux étincelaient ; ses cheveux couleur de
blé lui cascadaient sur les épaules.
Charlotte était couverte de bleus, les jambes éclaboussées
de boue, les bras meurtris par les pierres aux angles pointus. À un moment, elle
tomba, et Jessamyn était presque sur elle quand elle se releva péniblement, haletante,
en sanglots. Si au moins elle pouvait atteindre la rue, il y aurait bien quelqu’un
là-bas, normal et sain d’esprit, qui lui viendrait en aide.
Elle y était presque, se retournant une dernière fois pour s’assurer
qu’elle avait distancé Jessamyn, quand elle se heurta à quelque chose de dur, et
une paire de bras se referma autour d’elle.
Elle hurla : dans son imagination, elle vit déjà les
ciseaux lui taillader la chair, comme avec Fanny et Fulbert. Et elle se débattit
à coups de poing, à coups de pied.
— Arrêtez !
C’était Alaric. À bout de souffle, l’espace d’une longue seconde,
elle ne sut si elle avait plus peur de lui que de Jessamyn.
— Charlotte, dit-il doucement, c’est fini. Vous avez
commis une sottise en venant ici toute seule, mais maintenant c’est fini… terminé.
Très lentement, elle fit volte-face et regarda Jessamyn, trempée
et maculée de boue.
Jessamyn lâcha les ciseaux. Elle ne pouvait se battre contre
eux deux, ni se cacher plus longtemps.
— Venez !
Alaric enlaça Charlotte par les épaules.
— Vous voilà dans un triste état ! Je crois que
nous devrions appeler la police.
Charlotte se surprit à sourire. Oui, allez chercher la
police… allez chercher Pitt ! Avant toute chose… allez chercher Pitt !
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[1] L’Étrangleur de Cater Street, 10/18, n° 2852.
[2] Le Mystère de Callander Square, 10/18, n" 2853.
[3] En français dans le texte. (N. d. T.)
[4] En français dans le texte. (N. d. T.)
LE CRIME DE PARAGON WALK
PAR
ANNE PERRY
Traduit de l’anglais par Roxane Azimi
1018
INÉDIT
« Grands Détectives » dirigé par Jean-Claude Zylberstein
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Éditions 10/18 c /o 01 Consultants 35, rue du Sergent Bauchat 75012 Paris
Titre original : Paragon Walk
© Anne Perry, 1981 © Union générale d’Éditions, 1997 pour la traduction française ISBN 2-264-02346-5
A ma mère
L’inspecteur Pitt regarda la jeune fille, et un
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