Le Crime De Paragon Walk
ses yeux, l’anxiété avait chassé le rire.
— C’est là que vous le trouverez, Thomas, dit-elle avec ferveur. Personne dans Paragon Walk n’aurait pu faire ça !
Il avait encore le temps d’aller voir Fulbert Nash, le dernier des trois frères, qu’il eut la chance d’intercepter chez lui peu avant cinq heures. Visiblement, à en juger par l’expression de Fulbert, il était attendu.
— Ainsi, vous êtes de la police.
Fulbert l’examina avec une curiosité non déguisée, comme on inspecte quelque nouvelle invention, mais sans vouloir l’acheter pour autant.
— Bonjour, monsieur, dit Pitt plus sèchement qu’il ne l’aurait souhaité.
— Oh, bonjour, inspecteur, répliqua Fulbert, imitant très légèrement son ton. A l’évidence, vous êtes là pour Fanny, la pauvre petite. Désirez-vous connaître l’histoire de sa vie? Elle est pathétiquement brève. Fanny n’a rien fait de mémorable, et il n’y avait strictement aucune raison pour que ça change. Le seul événément extraordinaire de sa vie, c’est sa mort.
Sa désinvolture mit Pitt en colère, même s’il savait que souvent les gens dissimulaient une douleur qui leur était intolérable derrière une façade d’indifférence, voire de dérision.
— Pour l’instant, tout me porte à croire, monsieur, qu’elle a été victime d’un tragique hasard; je n’ai donc pas à me pencher sur l’histoire de sa vie.
Peut-être me direz-vous où vous étiez ce soir-là, et si vous avez vu ou entendu quelque chose qui puisse nous aider?
— J’étais ici, répondit Fulbert en haussant imperceptiblement les sourcils.
Il rappelait davantage Afton que Diggory : même air vaguement hautain, un visage qui aurait pu être beau, mais qui ne l’était pas. Diggory, pour sa part, avait les traits moins réguliers, mais il y avait du charme dans cette irrégularité, et de la personnalité dans les sourcils plus épais, plus sombres, comme une certaine chaleur.
— Toute la soirée, ajouta Fulbert.
— Seul ou avec quelqu’un? demanda Pitt.
Fulbert sourit.
— Afton ne vous a pas dit que j’ai joué au billard avec lui?
— C’est ce que vous avez fait, monsieur?
— A vrai dire, non. Afton me dépasse d’une bonne tête, comme vous l’avez sûrement remarqué. Ça l’agace prodigieusement de ne pas arriver à me battre, et je n’ai pas franchement envie de subir sa mauvaise humeur.
— Pourquoi alors ne pas le laisser gagner?
La réponse semblait évidente.
Les yeux bleu clair de Fulbert s’agrandirent, et il sourit. Il avait des dents petites et égales, trop petites pour une bouche d’homme.
— Parce que je triche, et il n’a jamais pu déterminer comment. C’est l’un des rares domaines où je réussis mieux que lui.
Pitt était un peu perdu. Il ne voyait aucun intérêt à s’affronter pour savoir qui tricherait le mieux. Mais d’un autre côté, il n’aimait pas jouer. Il n’avait pas eu le temps d’acquérir ce talent-là dans sa jeunesse, et maintenant il était trop tard.
— Etes-vous resté dans la salle de billard toute la soirée, monsieur?
— Non, je viens juste de vous le dire ! J’ai traîné dans la maison... dans la bibliothèque, là-haut, dans le cellier pour boire un verre ou deux de porto.
Il sourit à nouveau.
— Afton avait largement le temps d’en profiter pour se glisser dehors et violer la pauvre Fanny. Et comme elle était sa sœur, vous pouvez ajouter l’inceste à la liste des charges...
Il vit le visage de Pitt.
— Oh, j’ai heurté votre sensibilité! J’avais oublié le puritanisme qui règne parmi les classes inférieures. Seuls les aristocrates et les gamins des rues ont leur franc-parler. Réflexion faite, nous sommes les seuls à pouvoir nous le permettre. Nous avons l’arrogance de penser que personne ne peut nous infléchir, et les gamins des rues n’ont rien à perdre. Vous voyez mon frère, cet affligeant parangon de vertu, se faufiler entre les boules de billard et violer sa sœur dans le jardin ? Elle n’a pas été poignardée avec une queue de billard, n’est-ce pas?
— Non, Mr. Nash, répondit Pitt d’une voix claire et froide. Elle a été poignardée avec un couteau long et acéré, probablement à un seul tranchant.
Fulbert ferma les yeux, et Pitt se réjouit d’avoir enfin réussi à l’atteindre.
— C’est affreux,
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