Le Crime De Paragon Walk
pour montrer à Fulbert qu’il
le connaissait.
Fulbert comprit et esquissa un sourire.
— Je vous fiche mon billet que c’est faux ! Je
vous parie que c’est l’un d’entre nous, quelque sordide petit secret qui aurait
percé le vernis de la civilisation… et c’est le viol ! Elle l’a vu, et il
a dû la tuer. Regardez dans Paragon Walk, inspecteur, regardez-nous tous très, très
attentivement. Passez-nous au tamis et au peigne fin, et voyez quels poux, quels
parasites vous mettrez au jour !
Il pouffa de rire, amusé, et son regard brillant, direct, soutint
le regard courroucé de Pitt.
— Croyez-moi, vous n’en reviendrez pas de ce que vous
allez découvrir !
Tout l’après-midi, Charlotte attendit anxieusement le retour
de Pitt. Depuis qu’elle avait mis Jemima au lit pour sa sieste, elle
surveillait constamment la vieille horloge en bois foncé sur l’étagère de la
salle à manger ; elle s’en approchait même pour écouter le faible tic-tac
afin de s’assurer qu’elle marchait encore. Elle savait parfaitement que c’était
stupide : il ne rentrerait pas avant cinq heures au plus tôt, et plus
vraisemblablement six heures.
La cause de son inquiétude, c’était Emily, évidemment. Emily
attendait son premier enfant et, comme Charlotte ne s’en souvenait que trop
bien, ces premiers mois de grossesse pouvaient être très éprouvants. Non
seulement ce nouvel état inspirait une appréhension naturelle, mais il fallait
se battre contre les nausées et les passages à vide tout à fait déraisonnables.
Elle n’était jamais allée à Paragon Walk. Emily l’avait
invitée, bien sûr, mais Charlotte n’était pas convaincue que sa présence fût réellement
souhaitable. Depuis leur prime jeunesse, à l’époque où Sarah était encore en
vie et où elles habitaient Cater Street chez leurs parents, le manque de tact
de Charlotte était un vrai handicap en société. Maman lui avait présenté nombre
de partis convenables, mais, contrairement aux autres, Charlotte n’était pas
ambitieuse au point de tenir sa langue et chercher à faire bonne impression. Emily
l’aimait, certes, mais elle savait que Charlotte ne serait pas à l’aise chez
elle. Elle n’avait ni les tenues appropriées, ni le temps de s’arracher à ses
tâches ménagères. Elle n’était pas au fait des derniers potins mondains, et l’on
eût tôt fait de s’apercevoir qu’elle menait une vie totalement à part.
À présent, elle aurait voulu y aller, pour s’assurer de ses
propres yeux qu’Emily se portait bien et qu’elle n’avait pas peur à cause de
cet horrible crime. Bien sûr, sa sœur pouvait toujours rester à la maison et ne
sortir qu’en plein jour, accompagnée d’un domestique, mais ce n’était pas le
plus terrifiant. Charlotte se refusait à se souvenir ou à y penser.
Il était six heures passées quand, finalement, elle entendit
Pitt à la porte. Elle lâcha les pommes de terre qu’elle faisait égoutter dans l’évier
et se précipita à sa rencontre, renversant au passage le sel et le poivre qui
se trouvaient au bord de la table.
Elle lui sauta au cou.
— Comment va Emily ? Vous l’avez vue ? Avez-vous
trouvé qui a tué cette fille ?
Il l’emprisonna dans une étreinte vigoureuse.
— Bien sûr que non. Je viens à peine de commencer. Oui,
j’ai vu Emily, et elle m’a l’air en bonne forme.
— Oh ! fit-elle en se dégageant. Vous n’avez
encore rien découvert ! Mais vous savez au moins que George n’a rien à
voir là-dedans, n’est-ce pas ?
Il ouvrit la bouche pour répondre, mais elle lut l’indécision
dans ses yeux avant qu’il ne trouve ses mots.
— Comment, vous ne le savez pas !
Cela sonnait comme une accusation. Elle s’en rendit compte
au moment même où elle le disait et le regretta, mais elle n’avait pas de temps
à perdre en excuses.
— Vous ne le savez pas ! Pourquoi n’avez-vous pas
trouvé où il était ?
Il l’écarta avec douceur et s’assit à la table.
— Je le lui ai demandé, répondit-il. Je n’ai pas encore
eu le temps de vérifier.
— Vérifier ?
Elle était juste derrière lui.
— Pour quoi faire ? Vous n’avez pas confiance en
lui ?
Elle comprit soudain que c’était injuste. Il ne pouvait se
permettre de miser sur la confiance, et de toute façon ce n’était pas la
confiance dont elle avait besoin, pas plus qu’Emily.
— Je suis désolée.
Elle lui toucha l’épaule
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