Le Crime De Paragon Walk

elle pivotait de l’évier vers la table.
    —    Tu veux dire que ça ne te réjouit pas non plus? s’enquit-elle prudemment.
    —    Me réjouir? répliqua Emily avec une moue. Mais de quoi, voyons? Tu ne penses tout de même pas que c’est Hallam? demanda-t-elle d’un ton incrédule, les yeux arrondis.
    —    Ce doit être lui, fit Charlotte, pensive, remplissant la bouilloire qui déborda dans l’évier sans qu’elle le remarque. Il a reconnu avoir agressé Fanny, et il n’y avait pas d’autre raison de tuer Fulbert...
    —    Mais ? repartit Emily.
    —    Je ne sais pas.
    Charlotte ferma le robinet et vida l’eau en trop.
    —    Je ne vois pas ce qu’il y a de plus.
    Emily se pencha en avant.
    —    Je vais te le dire ! Nous n’avons toujours pas découvert ce que Miss Lucinda a vu et ce qui se passe chez nous... or il se passe quelque chose. N’essaie pas de me convaincre que tout était lié à Hallam, parce que c’est faux. Phoebe a toujours aussi peur. C’est même pire, comme si la mort de Hallam n’était qu’une pièce de plus dans l’abominable tableau qu’elle voit. Elle m’a dit une chose très bizarre hier, ce qui explique en partie ma présence ici.
    —    Quoi?
    Charlotte cligna des yeux. Tout cela lui semblait à la fois irréel et inéluctable. Son vague sentiment de malaise cristallisa autour de cet instant.
    —    Qu’a-t-elle dit?
    —    Que tout ce qui est arrivé a matérialisé le mal dans Paragon Walk et qu’il n’y a plus moyen de l’exorciser. Elle ose à peine imaginer la prochaine catastrophe qui va s’abattre sur nous.
    —    A ton avis, est-elle folle, elle aussi?
    —    Pas du tout ! rétorqua Emily, catégorique. Du moins, pas dans le sens où tu l’entends. Elle est bête, certes, mais elle sait de quoi elle parle, même si elle refuse d’en dire davantage.
    —    Et comment allons-nous faire? demanda Charlotte immédiatement.
    Il ne lui serait pas venu à l’idée de renoncer aux investigations. Pour Emily aussi, la chose était évidente.
    —    A force d’écouter les uns et les autres, j’ai élaboré un plan.
    Puisque c’était décidé, elle alla droit au but.
    —    Je suis pratiquement sûre que c’est en rapport avec les Dilbridge, en tout cas avec Freddie Dil-bridge. J’ignore qui d’autre y est mêlé. Phoebe le sait, elle : c’est ce qui la terrifie. Dans une dizaine de jours, les Dilbridge organisent une garden-party. George n’est pas d’accord, mais j’ai bien l’intention d’y aller, et tu viendras avec moi. Nous nous éclipserons discrètement pour explorer la maison. Avec un peu de jugeote, on finira par trouver quelque chose. Le mal, s’il existe réellement, laisse des traces.
    Peut-être découvrirons-nous ce qu’a vu Miss Lucinda? A mon avis, ce doit être là-bas.
    Le souvenir du cadavre calciné de Fulbert glissant hors de la cheminée revint, fulgurant, à la mémoire de Charlotte. Elle n’était pas près de recommencer à fouiller chez les autres à la recherche d’une réponse, mais d’un autre côté, elle ne pouvait se résoudre à laisser la question en suspens.
    — Bien, dit-elle fermement. Et que vais-je mettre ?
    Charlotte se rendit à la garden-party, le cœur en fête. Emily, elle-même au sommet de sa forme, lui avait offert une robe neuve, tout en dentelles et mousseline blanche, avec de minuscules nervures à l’empiècement. Elle avait l’impression d’être une pâquerette dans la brise d’un champ d’été, l’écume blanche d’un torrent de montagne, ineffable, éblouissante de limpidité.
    Tout le monde était là, même les demoiselles Horbury, comme s’ils avaient résolu de reléguer les événements tragiques ou sordides au passé, de les oublier complètement l’espace d’un après-midi de canicule.
    Habillée de vert printemps, couleur qui lui seyait le mieux, Emily rayonnait littéralement.
    — Nous allons trouver ce que c’est, glissa-t-elle à Charlotte, s’emparant de son bras pour traverser la pelouse en direction de Grâce Dilbridge. Je n’arrive toujours pas à déterminer si elle est au courant ou pas. J’ai écouté très attentivement toutes les conversations ces temps-ci : à mon avis, Grâce préfère ne pas savoir; elle s’arrange donc pour ne pas l’apprendre par inadvertance.
    Charlotte se souvint des paroles de tante Vespa-sia, comme quoi Grâce aimait à jouer les martyres. Si elle découvrait le