Le Crime De Paragon Walk
bien
entendu, personne n’aimait avoir affaire à une réalité aussi sordide que la
police. Néanmoins, il fallait se rendre à l’évidence. À la combattre, la
soumission finale n’en serait que plus douloureuse… et inéluctable.
Et pourquoi Phœbe protégerait-elle un homme coupable d’un
crime aussi atroce ? Par peur ? Cela ne tenait pas debout. Le moyen
de défense le plus sûr était de partager ce genre de secret, afin qu’il ne
meure pas avec vous.
Par amour ? C’était peu probable. Certainement pas pour
Afton.
Par devoir ? Envers lui ou la famille Nash, peut-être
même envers sa propre classe sociale, par une sorte de paralysie face au
scandale. Etre victime, c’était une chose – avec le temps, on n’y pensait plus
– mais être un criminel, jamais !
Vespasia se remit en route, tête baissée, fronçant les
sourcils. Tout cela n’était que spéculation : l’explication pouvait être
tout autre, ne serait-ce que la simple crainte d’une enquête. Avait-elle un
amant ?
En tout cas, une chose était certaine : Phœbe était
littéralement terrifiée.
Rendre visite à Grace Dilbridge était inévitable ; c’était
une corvée qui consistait à récriminer quasi rituellement contre les
bizarreries des amis de Frederick, leurs incessantes réunions et les indignités
que subissait Grace elle-même, étant exclue des jeux et autres activités
inavouables qui se déroulaient dans le jardin d’hiver. Vespasia se surpassa en
véhémence et s’excusa juste au moment où Selena Montague faisait son entrée, les
yeux brillants, frémissante de vitalité. Elle entendit le nom de Paul Alaric
avant même d’avoir franchi la porte et sourit intérieurement de la spontanéité
de la jeunesse.
Il fallait aussi, évidemment, passer chez Jessamyn. Vespasia
la trouva très calme ; elle n’était déjà plus en grand deuil. Ses cheveux
brillaient au soleil qui entrait par les portes-fenêtres, et son teint avait la
délicate carnation d’une fleur de pommier.
— Comme c’est gentil à vous, Lady Cumming-Gould, dit-elle
poliment. Vous prendrez bien un rafraîchissement… thé ou citronnade ?
— Thé, s’il vous plaît, répondit Vespasia en s’asseyant.
C’est toujours agréable, même par cette chaleur.
Jessamyn sonna la bonne et lui donna les instructions. Une
fois la bonne partie, elle s’approcha gracieusement des fenêtres.
— J’aimerais tant qu’il fasse plus frais, dit-elle en
contemplant l’herbe sèche et les feuilles poussiéreuses. Cet été me paraît interminable.
Rompue à l’art de la conversation, Vespasia avait une réplique
toute prête en n’importe quelle circonstance ; cependant, derrière la
contenance réservée de Jessamyn, à travers son corps rigide et délicat, elle
perçut une violente émotion qu’elle ne sut définir avec précision. Cela
semblait bien plus complexe qu’un chagrin ordinaire. Ou alors c’était Jessamyn
elle-même qui était complexe.
Jessamyn se retourna et sourit.
— Serait-ce prémonitoire ?
Vespasia comprit aussitôt de quoi elle parlait. Elle
songeait à l’enquête policière, et non à la période estivale. Jessamyn n’était
pas femme à accepter les faux-fuyants : elle était beaucoup trop forte et
trop intelligente.
— Vous n’y pensiez peut-être pas en le disant, répliqua
Vespasia, la regardant droit dans les yeux, mais vous avez probablement raison.
D’un autre côté, l’été pourrait céder imperceptiblement le pas à l’automne sans
qu’on s’en rende compte : un beau matin, il va geler, et les premières
feuilles tomberont.
— Et tout sera oublié.
Jessamyn s’éloigna de la fenêtre et revint s’asseoir.
— Ce ne sera plus qu’un drame du passé qu’on n’aura
jamais vraiment élucidé. Pendant quelque temps, on fera attention aux
serviteurs qu’on engage, mais cela aussi passera.
— Il y aura d’autres orages, rectifia Vespasia. On a
toujours besoin d’un sujet de conversation. Une fortune gagnée ou perdue, un
mariage mondain, un amant qu’on prend ou qu’on quitte.
La main de Jessamyn se crispa sur l’accoudoir brodé du canapé.
— C’est possible, mais je n’aime pas discuter de la vie
privée des gens. C’est eux que ça regarde, pas moi.
Momentanément surprise, Vespasia se rappela n’avoir jamais
entendu Jessamyn discourir sur la vie amoureuse ou conjugale d’autrui. Elle ne
se souvenait que de discussions sur la mode, les réceptions et,
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