Le Crime De Paragon Walk
il se garde bien de le dire.
— Doux Jésus !
George la dévisagea, bouche bée.
— Vous n’insinuez tout de même pas qu’il a été
assassiné !
Emily avala son thé de travers.
— Je n’insinue rien du tout.
D’un mouvement du bras, Vespasia désigna Emily pour que
George lui vienne en aide.
— Tape-lui dans le dos, pour l’amour du ciel !
Elle attendit pendant que George s’exécutait, jusqu’à ce qu’Emily
le repousse pour reprendre son souffle.
— Je m’interroge, sans plus. De toute façon, il y aura
des insinuations, déplaisantes, cela va sans dire, dont nécessairement celle-ci.
Elle avait vu juste, même si Emily dut attendre le lendemain
pour s’en assurer. Arrivée chez Jessamyn, elle y trouva Selena. Si peu de temps
après la mort de Fanny, les visites mondaines se limitaient à leur propre
cercle restreint, pour une raison de convenances, certes, mais surtout pour
leur permettre d’en discuter à leur aise.
— J’imagine que vous n’avez toujours pas de nouvelles ?
demanda Selena anxieusement.
— Aucune, répondit Jessamyn. On dirait que la terre s’est
ouverte et l’a englouti. Phœbe est venue ce matin et, naturellement, Afton s’est
renseigné discrètement dans la mesure du possible, mais il n’est dans aucun de
ses clubs en ville, et on n’a trouvé personne qui lui ait parlé.
— Il n’avait pas quelqu’un à voir à la campagne ? s’enquit
Emily.
Les sourcils de Jessamyn s’arquèrent.
— À cette époque de l’année ?
— On est en pleine saison, ajouta Selena d’un ton
méprisant. Qui songerait à quitter Londres maintenant ?
— Fulbert, peut-être, repartit Emily, piquée au vif. Apparemment,
il a quitté Paragon Walk sans un mot d’explication. S’il se trouvait à Londres,
où serait-il, sinon ici ?
— Ça tombe sous le sens, concéda Jessamyn, puisqu’il n’est
dans aucun club, pas plus qu’en visite chez des amis.
— Je préfère ne pas envisager les autres solutions, dit
Selena en frissonnant, pour se contredire aussitôt. Mais il le faut.
Jessamyn la regarda.
Selena n’avait pas l’intention de faire machine arrière.
— Ne nous voilons pas la face, ma chère. Il est
possible qu’on ait cherché à le neutraliser.
Le visage fin de Jessamyn était très pâle.
— Vous voulez dire, assassiner ? demanda-t-elle
doucement.
— Hélas, oui.
Il y eut un moment de silence. Emily réfléchissait fébrilement.
Qui aurait pu tuer Fulbert, et pourquoi ? L’autre explication était à la
fois pire et aussi infiniment rassurante, sauf qu’elle n’osait la formuler :
le suicide. Si, tout compte fait, c’était lui qui avait tué Fanny, il aurait pu
trouver l’issue dans cet acte désespéré.
Jessamyn continuait à fixer le vide. Ses longues mains délicates
reposaient, figées, sur ses genoux, comme si elle ne les sentait pas ou était
incapable de les remuer.
— Pourquoi ? chuchota-t-elle. Pourquoi aurait-on
assassiné Fulbert, Selena ?
— Son assassin est peut-être celui qui a tué la pauvre
Fanny.
Emily n’avait pas le courage d’exprimer le fond de sa pensée.
Il fallait qu’elle les y amène, en douceur, pour le leur faire dire, à l’une ou
à l’autre.
— Voyons, Fanny a été… molestée, raisonna-t-elle tout
haut. Elle n’a été tuée qu’après… peut-être parce qu’elle avait reconnu son
agresseur et qu’il ne pouvait plus la laisser partir. Mais pourquoi aurait-on
tué Fulbert… à supposer qu’il soit mort ? Pour le moment, nous sommes
simplement sans nouvelles de lui, c’est tout.
Jessamyn sourit faiblement ; une vague expression de
gratitude anima ses traits pâles.
— Vous avez entièrement raison. Rien ne nous prouve qu’il
s’agit d’un seul et même individu. Ni, d’ailleurs, que les deux affaires soient
liées.
— Elles le sont forcément ! éclata Selena. Nous ne
pouvons pas avoir deux crimes d’origine totalement différente commis ici en l’espace
d’un mois. C’est pousser la crédulité un peu trop loin ! Regardons la
réalité en face… ou Fulbert est mort, ou il a pris la fuite.
Les yeux de Jessamyn brillaient d’un éclat fiévreux. Lorsqu’elle
parla, sa voix était lente, lointaine.
— D’après vous, c’est Fulbert qui aurait tué Fanny et
il se cache pour échapper à la police ?
— Il y a bien un coupable, répliqua Selena qui ne
désarmait pas. Il est peut-être fou ?
Une autre idée vint à
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