Le Crime De Paragon Walk
l’esprit d’Emily.
— Ou alors ce n’est pas lui, mais il sait qui c’est et
il a peur.
Elle n’avait pas pris le temps de réfléchir à l’effet que sa
remarque pouvait provoquer.
Parfaitement immobile, Jessamyn répondit d’une voix douce, aux
inflexions quasi soyeuses :
— À mon avis, c’est peu probable. Fulbert est incapable
de garder un secret. Et il n’est pas très courageux non plus. Non, je ne crois
pas que ce soit là l’explication.
— C’est ridicule ! fit Selena, acerbe. S’il savait
qui c’est, il l’aurait dit. Il s’en serait fait un plaisir ! Pourquoi donc
aurait-il couvert l’assassin ? Fanny était sa sœur, non ?
— Il n’en a peut-être pas eu l’occasion.
Emily commençait à en avoir assez d’être traitée comme une
attardée.
— On a pu le tuer avant qu’il ne passe à l’acte.
Jessamyn inspira profondément et exhala l’air dans un long
et silencieux soupir.
— C’est possible que vous ayez raison, Emily. Cela me
fend le cœur…
Sa voix se brisa, et elle dut se racler la gorge.
— … mais force est de reconnaître que Fulbert a soit
tué Fanny et s’est enfui, soit…
Elle frissonna et parut se tasser sur elle-même.
— … soit l’assassin de Fanny s’est aperçu que le pauvre
Fulbert en savait trop et l’a supprimé pour l’empêcher de parler.
— Si c’est vrai, alors nous avons un dangereux criminel
dans Paragon Walk, dit Emily à voix basse. Et je suis très contente de ne pas
savoir qui c’est. Je pense que nous devrions faire très attention à ce que nous
disons, à qui nous le disons, et aux personnes avec qui nous nous retrouvons en
tête à tête.
Selena poussa un petit gémissement, mais son visage s’était
empourpré, et de fines gouttes de sueur perlaient sur son front. Elle avait les
yeux très brillants.
La pièce était devenue plus sombre, la chaleur, plus suffocante.
Emily se leva pour partir ; cette visite ne l’amusait plus du tout.
Le lendemain, il ne fut plus possible de cacher l’incident à
la police. Prévenu, Pitt revint à Paragon Walk. Il était fatigué et abattu. Un
événement aussi imprévu était un signe d’échec pour lui, et il ne se l’expliquait
pas. Bien sûr, les hypothèses ne manquaient pas. Et ce n’étaient pas les règles
de bienséance qui l’empêchaient d’envisager d’emblée les plus évidentes et les
plus sordides d’entre elles. Il avait vu trop de crimes : plus rien ne l’étonnait,
pas même le viol incestueux. Dans les taudis surpeuplés des quartiers
misérables, c’était un phénomène courant. Usées par les innombrables grossesses,
les femmes mouraient jeunes, laissant leur progéniture à la charge du mari et
de la fille aînée. La solitude et la dépendance mutuelle débouchaient alors
facilement sur quelque chose de plus intime, de plus viscéral.
Mais il ne s’attendait guère à trouver cela à Paragon Walk.
Il y avait aussi la possibilité que ce ne fût ni fuite ni
suicide, mais un nouveau meurtre. Fulbert en savait peut-être trop et avait
commis la sottise de le dire ? Peut-être même avait-il essayé le chantage
et payé le prix fort pour son insolence ?
Charlotte lui avait parlé de ses remarques, de leur cruauté
corrosive, insidieuse, des « sépulcres blanchis ». Était-il tombé sur
un secret plus dangereux qu’il ne le soupçonnait, ce qui avait causé sa mort… rien
à voir avec Fanny ? Ce ne serait pas la première fois qu’un crime aurait
fait germer l’idée d’un autre crime, aux mobiles entièrement différents. Il n’y
avait rien de tel pour donner l’exemple qu’un succès apparent.
Pitt se devait de commencer par Afton Nash, qui avait
signalé la disparition de Fulbert et qui vivait sous le même toit que lui. Il
avait déjà envoyé ses hommes se renseigner dans les clubs et autres
établissements, où l’on trouvait ceux qui cherchaient à se divertir, qui
avaient bu un coup de trop ou qui souhaitaient rester anonymes pendant quelque
temps.
Il fut reçu chez les Nash avec une politesse glaciale et
conduit au petit salon où, quelques minutes plus tard, Afton fit son apparition.
Il avait l’air fatigué ; l’irritation avait creusé des rides autour de sa
bouche. Affligé d’un rhume de cerveau qui l’obligeait à se tamponner le nez en
permanence, il considéra Pitt d’un air peu aimable.
— Je suppose que vous êtes là pour mon frère ? fit-il
en reniflant. Je ne sais
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