Le Crime De Paragon Walk
blanche, avec de minuscules nervures à l’empiècement. Elle
avait l’impression d’être une pâquerette dans la brise d’un champ d’été, l’écume
blanche d’un torrent de montagne, ineffable, éblouissante de limpidité.
Tout le monde était là, même les demoiselles Horbury, comme
s’ils avaient résolu de reléguer les événements tragiques ou sordides au passé,
de les oublier complètement l’espace d’un après-midi de canicule.
Habillée de vert printemps, couleur qui lui seyait le mieux,
Emily rayonnait littéralement.
— Nous allons trouver ce que c’est, glissa-t-elle à
Charlotte, s’emparant de son bras pour traverser la pelouse en direction de Grace
Dilbridge. Je n’arrive toujours pas à déterminer si elle est au courant ou pas.
J’ai écouté très attentivement toutes les conversations ces temps-ci : à
mon avis, Grace préfère ne pas savoir ; elle s’arrange donc pour ne pas l’apprendre
par inadvertance.
Charlotte se souvint des paroles de tante Vespasia, comme
quoi Grace aimait à jouer les martyres. Si elle découvrait le secret, peut-être
serait-elle trop atterrée pour continuer à y prendre plaisir. Après tout, si
votre mari péchait, juste un peu plus ouvertement que la moyenne, on était
censée souffrir avec élégance sous les regards compatissants de l’entourage. Votre
position sociale n’était pas en péril. Mais si le péché en question sortait de
l’ordinaire, frôlait l’inacceptable, alors on était obligée de réagir, voire de
partir… et là, c’était une autre paire de manches. Une femme qui quittait son
mari, quelles que fussent ses raisons, était non seulement dans le pétrin
financièrement parlant, mais honnie par la bonne société. Les invitations cessaient,
purement et simplement.
Elles avaient rejoint Grace Dilbridge à qui le violet, peu
seyant, donnait une mine de papier mâché. C’était une couleur trop chaude pour
une journée aussi suffocante. Il y avait des nuées de moucherons dans l’air :
seule leur éducation empêchait les convives de les chasser d’un geste violent
car ils provoquaient des démangeaisons et se prenaient fort désagréablement
dans les cheveux.
— Quel plaisir de vous revoir, Mrs. Pitt ! dit Grace
mécaniquement. Je suis ravie que vous ayez pu venir. Chère Emily, vous avez une
mine splendide.
— Merci, répondirent-elles en chœur.
Et Emily enchaîna :
— J’ignorais que votre jardin était aussi grand. Il est
vraiment superbe. Est-ce qu’il continue au-delà de cette haie ?
— Oh oui, il y a un chemin herbacé et une petite
roseraie, fit Grace avec un vague geste de la main. J’ai déjà pensé à planter
des pêchers le long de ce mur orienté au sud, mais Freddie ne veut pas en
entendre parler.
Emily donna un coup de coude à Charlotte, et cette dernière
comprit qu’elle songeait au jardin d’hiver. Il devait être quelque part
derrière cette haie.
— Ah bon ? répliqua Emily avec un intérêt poli. Moi,
j’adore les pêches. Si j’avais eu autant d’espace, j’aurais persisté. Il n’y a
rien de tel qu’une pêche bien fraîche, en saison.
— C’est difficile, marmonna Grace, gênée. Freddie
serait très fâché. Il me donne tant qu’il me jugerait la dernière des ingrates
si je devais faire des histoires pour une broutille.
Cette fois, ce fut Charlotte qui, discrètement, poussa Emily
du pied sous les volutes neigeuses de sa jupe. Il ne fallait pas insister trop
lourdement pour ne pas trahir leur curiosité. Elles en avaient déjà appris
suffisamment. Le jardin d’hiver était derrière cette haie, et Freddie ne
voulait pas de pêchers à proximité.
Elles s’excusèrent donc, après avoir à nouveau assuré Grace
qu’elles étaient tout à fait enchantées d’être là.
— Le jardin d’hiver ! dit Emily sitôt qu’elles
furent hors de portée de voix. Freddie ne tient pas à ce qu’elle aille cueillir
ses pêches au mauvais moment. C’est là, je parie, qu’il organise ses soirées
privées.
Mais Charlotte n’était pas d’accord.
— Les soirées, ce n’est rien, fit-elle lentement, à
moins qu’il s’y passe des choses vraiment abominables. Non, ce qu’il faudrait
savoir, c’est qui y va. Crois-tu que Miss Lucinda se rappelle tant soit peu
clairement ce qu’elle a vu ? Ou alors elle a tant brodé depuis que son
témoignage n’a plus aucune valeur ? Elle a dû raconter son histoire des
dizaines de fois.
Emily se
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