Le Dernier Caton

véritable surprise !
    Des papiers et des cartes de visite tombèrent de l’agenda que je venais d’ouvrir. Je les ramassai précipitamment et cherchai le numéro de téléphone des services médicaux du Vatican. Ce soir-là, le docteur Piero Arcuti était de garde. Je le connaissais. Il m’assura qu’il serait là dans peu de temps, et me demanda, à mon grand étonnement, s’il fallait prévenir le cardinal Sodano.
    — Mais pourquoi ?
    — Parce que dans le dossier du capitaine figure une note disant que dans un cas semblable il faut prévenir la secrétairerie d’État directement, ou bien, à défaut, monseigneur Tournier.
    — Je ne sais pas, docteur. Faites ce qui vous semble le mieux.
    — Alors, je vais appeler Son Éminence.
    — Très bien. Nous vous attendons.
    Je raccrochai. Farag apparut dans le salon avec un regard interrogateur. Il était sale et dépenaillé comme un clochard.
    — Tu as eu le médecin ?
    — Il arrive.
    Il fouilla dans les poches de sa veste et en sortit une feuille.
    — Regarde, Ottavia, c’est le papier qui est tombé de la poche du capitaine.
    — Comment va-t-il ?
    — Pas très bien, dit-il en me tendant la note. Il n’arrive pas à se réveiller. Quelle drogue nous a-t-on donnée ?
    — Je ne sais pas, mais cela ne nous a pas affectés de la même manière que lui. Tu te sens bien, n’est-ce pas ?
    — En fait, je meurs de faim, dit-il. Mais lis ça d’abord.
    Je pris la feuille de papier et l’examinai. Il ne s’agissait pas d’un papier ordinaire. Bien que gorgé d’eau, il était épais et rugueux. Ses bords irréguliers avaient été coupés de manière artisanale. Je le dépliai sur la paume de ma main et découvris des lettres grecques à peine délavées par l’eau du Tibre.
    — Un mot doux de nos amis les stavrophilakes ?
    — Je suppose.
     
    τι στενη η πυλη και τεθλιμμενη η οδος η απαγουσα εις την ζωην, και ολιγοι εισιν οι ευρισκοντες αυτην.
     
    — « Étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, traduisis-je, et il en est peu qui le trouvent. » C’est un passage de l’Évangile de Matthieu.
    — Cela m’est égal, murmura Farag. Ce dont j’ai peur, c’est ce que cela peut signifier.
    — Eh bien, que l’épreuve suivante comporte une porte étroite et des chemins resserrés. Qu’y a-t-il écrit en dessous… ?
    —  Aghios Konstantinos Akanz.
    — Saint Constantin des Épines…, murmurai-je, pensive. Il ne peut pas se référer à l’empereur Constantin… Il s’agit peut-être d’un saint important pour les stavrophilakes ou du nom d’une église ?
    — Si c’est le cas, elle se trouve obligatoirement à Ravenne, puisque c’est là que doit avoir lieu la deuxième épreuve, celle du péché d’envie. Et ce truc des épines, dit-il en remontant ses lunettes sur son nez, ne me plaît pas du tout parce que, dans la deuxième corniche de Dante, les envieux ont le corps couverts de cilices et les yeux cousus avec du fil de fer.
    Soudain une sueur froide couvrit mon visage, j’agrippai le dossier d’une chaise, au bord de l’évanouissement.
    — Je t’en prie ! Pas ce soir !
    — Non, tu as raison, dit-il en s’approchant de moi et en passant un bras autour de mes épaules. Ce soir, nous allons nous contenter d’attaquer le réfrigérateur de Kaspar et dormir quelques heures. Viens ! Accompagne-moi à la cuisine.
    — J’espère que le docteur ne sera pas en retard.
    La cuisine du capitaine était d’un luxe scandaleux !
    Je pensai aussitôt à la pauvre Ferma qui, avec le dixième de ce qui se trouvait ici, préparait des repas délicieux. Que n’aurait-elle fait si elle avait disposé de cette version domestique de la NASA ? Le réfrigérateur à la taille colossale, en acier inoxydable, disposait d’un distributeur d’eau et de glaçons, ainsi que d’un écran d’ordinateur qui, lorsque nous ouvrîmes la porte, nous prévint qu’il faudrait bientôt penser à acheter de la viande de veau.
    — Comment crois-tu qu’il puisse payer tout ça ? demandai-je à Farag qui en sortait de la charcuterie.
    — Ce ne sont pas nos affaires, Ottavia.
    — Comment ça ! Je travaille avec lui depuis deux mois et je sais seulement qu’il est aussi aimable qu’une pierre et qu’il obéit aux ordres de la Rote et à monseigneur Tournier. Alors !
    — Il n’est plus aux ordres de