Le Dernier Caton
fiancée. Donc le Roc avait un appartement magnifique, une jolie fiancée, un lignage ; il aimait la musique et les livres, qui abondaient dans toute la maison. J’étais étonnée de ne voir nulle trace de la collection d’armes que tout militaire qui se respectait se devait de posséder, du moins à mon avis, cela ne paraissait pas l’intéresser et, en y réfléchissant bien, rien dans cette demeure, à part les portraits des ancêtres, ne disait que son propriétaire était un militaire.
— Mais, Ottavia, que fais-tu ici !
Je sursautai et me retournai.
— Farag ! tu m’as fait peur.
— Et si le capitaine était arrivé à ma place, qu’aurait-il pensé de toi ?
— Je n’ai rien touché, je regardais, c’est tout.
— Si un jour je vais chez toi, fais-moi penser à inspecter ta chambre.
— Tu ne feras pas une chose pareille.
— Alors, sors d’ici tout de suite. Le docteur aimerait regarder ton bras. Le capitaine va bien. Il subit juste les effets d’un somnifère très puissant. Lui et moi avons une charmante petite croix sur l’avant-bras droit. Elle est de forme latine et encadrée par un rectangle avec une petite couronne de sept pointes. Tu as peut-être un autre modèle ?
— Cela m’étonnerait.
En fait, j’avais complètement oublié cette histoire. Mon bras ne me gênait plus depuis un bon moment.
Nous entrâmes dans la chambre du capitaine qui dormait sur son lit, sale et dépenaillé. Le docteur me demanda de relever ma manche. Tout l’avant-bras était rouge et un peu gonflé, mais on ne voyait pas la croix, cachée par un pansement. Cette secte millénaire avait des pratiques très modernes. Arcuti décolla doucement le sparadrap.
— C’est bien, dit-il en regardant la marque. Il n’y a pas d’infection, elle semble propre malgré cette couleur verte. Un antiseptique végétal peut-être… En tout cas, c’est du travail soigné, de professionnel. On peut vous demander…
— Non, surtout pas, docteur. C’est juste une nouvelle mode appelée body art.
— Et vous…
— Oui, je suis la mode.
Arcuti sourit.
— J’en conclus que vous ne pouvez rien me dire. Le cardinal m’a prévenu de ne m’étonner de rien ce soir, et de ne poser aucune question. Je crois que vous accomplissez une mission importante pour l’Église.
— Oui, murmura Farag.
— Bien, dans ce cas, dit-il en collant sur mon bras un nouveau sparadrap, j’ai terminé. Laissez dormir le capitaine. Je vous conseille de vous reposer vous aussi, vous semblez en avoir besoin. Je pense qu’il serait bon que vous m’accompagniez, ma sœur. Je suis en voiture, je peux vous déposer.
Le docteur Arcuti, membre de l’Opus Dei, l’organisation religieuse la plus puissante au sein du Vatican depuis l’élection de Jean-Paul II, ne voyait pas d’un bon œil qu’une religieuse passât la nuit dans une maison seule avec deux hommes qui, en plus, n’étaient pas prêtres. On disait que le pape ne faisait rien sans le consentement de l’Œuvre, et que même les plus indépendants et les plus forts de la puissante Curie romaine évitaient de s’opposer ouvertement aux directives politico-religieuses de cette institution, dont les membres comme le docteur Arcuti ou le porte-parole du Vatican étaient omniprésents à tous les échelons.
Je le regardai, déconcertée, sans savoir quoi répondre. Il y avait des chambres en nombre suffisant dans cet appartement, et il ne m’était pas venu à l’idée que je devrais repartir chez moi à cette heure tardive et dans mon état de fatigue. Mais le docteur insista :
— Vous voudrez sûrement vous doucher et vous changer ? Vous ne pouvez pas rester ici, ma sœur !
Je compris qu’il serait vain de m’opposer à sa décision. Si je refusais, ce soir même mon ordre recevrait une réprimande sévère, et on ne plaisantait pas avec ça. Je dis au revoir à Farag et, plus morte que vive, quittai l’appartement avec le médecin qui, en effet, me laissa Piazza delle Vaschette, avec le sourire satisfait de celui qui a accompli son devoir. Ferma, Margherita et Valeria s’effrayèrent en me voyant entrer. Je sais que je pris une douche, mais j’ignore comment j’arrivai jusqu’à mon lit.
Fidèle à sa nature suisse alémanique, le capitaine refusa de prendre ne serait-ce qu’un seul jour de repos. Malgré mon insistance et celle de Farag, il se présenta le lendemain, la tête bandée, à l’Hypogée, prêt à poursuivre sa
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