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Le Dernier Caton

Le Dernier Caton

Titel: Le Dernier Caton Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Matilde Asensi
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Tournier.
    Farag prépara de succulents sandwichs sur le marbre rouge du plan de travail, à côté de la cuisinière qui disposait de six plaques et d’un grill fait de roche de lave comme l’indiquait l’étiquette encore collée.
    — Peut-être, mais il est aussi aimable qu’une pierre.
    — Tu l’as toujours mal considéré, Ottavia. Au fond, je crois qu’il n’est pas heureux. Je suis sûr que c’est quelqu’un de bien. La vie a dû le conduire malgré lui à occuper ce poste peu recommandable.
    — La vie ne te conduit pas si tu ne le veux pas, répliquai-je d’un ton sentencieux, convaincue d’avoir proféré une grande vérité.
    — En es-tu si sûre ? me dit-il d’un ton sarcastique en coupant des tranches de pain. Pourtant, moi je connais quelqu’un qui n’a pas été très libre à l’heure de choisir son destin.
    — Si tu parles de moi, tu te trompes, dis-je, vexée.
    Il rit et s’approcha de la table avec deux assiettes et deux serviettes.
    — Tu sais ce que m’a dit ta mère, dimanche, quand Kaspar et moi sommes venus chez toi après les funérailles ?
    Une réplique vénéneuse me passa par la tête mais je gardai le silence.
    — Ta mère m’a dit que, de tous ses enfants, tu as toujours été la plus brillante, la plus intelligente et la plus forte. (Il suça ses doigts couverts de sauce.) Je ne sais pas pourquoi elle m’a confié cela, mais elle m’a dit que tu ne pourrais être heureuse qu’en menant la vie que tu mènes, une vie consacrée à Dieu, parce que tu n’es pas faite pour le mariage, et que tu ne pourras jamais supporter qu’un époux te donne des ordres. Je suppose que ta mère juge le monde selon les règles de son époque.
    — Elle fait ce qu’elle veut, répliquai-je. Qui es-tu pour la juger ?
    — Ne te fâche pas ! Je te répète juste ce qu’elle m’a raconté. Et maintenant, à table ! Mords là-dedans, Basileia, et tu découvriras un de ces nombreux plaisirs de la vie que tu méconnais !
    — Farag !
    — Je… regrette, dit-il, la bouche pleine et sans avoir l’air de le penser vraiment.
    Comment pouvait-il avoir encore autant d’énergie alors que j’étais si fatiguée et que je tombais de sommeil ? Un jour, pensai-je en prenant une première bouchée – c’était délicieux, il fallait le reconnaître –, je me mettrais au sport. C’était fini, cette histoire de rester des heures à travailler dans mon bureau, immobile. Je me promènerais, je ferais de l’exercice, j’emmènerais mes camarades courir sur le Borgo.
    Nous avions presque fini de dîner quand on entendit sonner à la porte.
    — Reste là et termine, me dit Farag en se levant. Je vais ouvrir.
    Je sus que j’allais bientôt m’endormir sur cette table, aussi avalai-je ma dernière bouchée avant de me précipiter à sa suite. Je saluai le docteur Arcuti qui entrait et, tandis qu’il allait examiner le capitaine, je me dirigeai comme une somnambule vers le salon pour m’asseoir un moment sur un canapé. Je crois que j’étais déjà endormie, que je marchais endormie et parlais endormie. En passant devant une porte entrouverte, je ne pus résister à la tentation de fouiner. J’allumai et me trouvai dans une grande pièce, décorée avec des meubles modernes qui, je ne sais par quel miracle, allaient très bien avec les étagères classiques d’acajou et les portraits des ancêtres militaires de Glauser-Röist. Un ordinateur sophistiqué trônait sur le bureau et, à droite près de la fenêtre, était posée une chaîne hi-fi avec plus de boutons et d’écrans digitaux que le tableau de commandes d’un avion ! Je vis des centaines de CD, du jazz à l’opéra en passant par toutes sortes de musiques folkloriques et des chants grégoriens. Je venais enfin de découvrir une des grandes passions du capitaine : la musique.
    Les portraits de ses ancêtres étaient incroyables. Les visages se ressemblaient, avec quelques légères modifications. Ils s’appelaient tous Kaspar ou Linus, et avaient la même expression sévère. Des visages graves de militaires appartenant au corps des gardes suisses depuis le XVI e siècle.
    Une photo d’une taille plus grande reposait entre l’ordinateur et une splendide croix de fer posée sur un chevalet. Comme je ne pouvais la voir de ma place, je fis le tour de la table, et contemplai le visage de la même jeune fille brune aperçue dans le salon. J’étais certaine maintenant qu’il s’agissait de sa

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