Le Dernier Caton
particulières en sélectionnant les semences au fil des siècles.
— C’est vraiment impressionnant ! m’exclamai-je en contemplant la coupole végétale qui recouvrait, compacte, le chemin.
Après un moment de silence, Farag demanda :
— Les moines nous ont dit qu’il y a une bifurcation à droite, je crois ?
— Ce ne doit plus être très loin, répondis-je.
Et pourtant les minutes passaient et le croisement n’apparaissait toujours pas.
— Je pense que nous nous sommes trompés, dit le capitaine en regardant sa montre.
— Je vous l’avais bien dit.
— Continuons, objectai-je.
Au bout d’une demi-heure, je dus admettre mon erreur. Nous avions la sensation d’entrer au plus profond du bois. Le chemin était à peine tracé et, ajouté au feuillage de plus en plus épais, le manque de lumière dû à la couverture végétale nous empêchait de savoir dans quelle direction nous marchions. Heureusement, l’air était frais et la marche n’avait rien d’épuisant.
— Retournons sur nos pas, dit Glauser-Röist d’un ton sombre.
Ni Farag ni moi ne discutâmes ; il était évident que, même si nous marchions toute la journée, nous n’arriverions nulle part en suivant ce chemin. Étrangement, un kilomètre plus loin environ, nous trouvâmes le croisement.
— C’est une plaisanterie ! s’écria le capitaine. Nous ne sommes jamais passés par là.
— Vous voulez mon avis ? dit Farag en souriant. Je crois que nous avons commencé notre voyage sur la deuxième corniche. Ils ont dû dissimuler ces chemins et les montrent maintenant pour que nous les trouvions. L’un d’eux doit mener au bon endroit.
Cette remarque parut calmer un peu Glauser-Röist.
— Dans ce cas, agissons comme ils s’attendent à ce que nous le fassions.
— Par où allons-nous ? À droite ou à gauche ?
— Et si ce n’était pas l’épreuve ? dis-je. Et si nous nous étions perdus, tout simplement ?
Je n’obtins pour toute réponse qu’un silence indifférent. Chacun de son côté se mit à fouiner, à retourner des cailloux avec le bout des chaussures. On aurait dit deux guides indiens ou, pis encore, deux chiens de chasse cherchant leur proie.
— Ici ! s’écria bientôt Farag en montrant un chrisme minuscule gravé sur le tronc d’un arbre situé juste sur le chemin de gauche.
— Alors ? dit-il, très satisfait.
Le long chemin aboutit, vers midi, à une haie d’environ trois mètres de hauteur qui bloquait la voie. Nous nous arrêtâmes devant, aussi étonnés que des Bédouins découvrant un gratte-ciel dans le désert.
— Je crois que nous sommes arrivés, murmura Farag.
— Et maintenant, on fait quoi ?
— On continue, je suppose. Il y a peut-être une ouverture plus loin.
Nous longeâmes la haie pendant vingt minutes jusqu’à ce qu’enfin sa parfaite régularité s’interrompe. Un accès de deux mètres de large paraissait nous inviter à entrer. Le chrisme de fer cloué au sol ne nous laissa plus aucun doute.
— Le cercle des envieux, murmurai-je, un peu effrayée, en posant la main sur mon avant-bras.
— Allons ! Basileia , nous ne laisserons pas dire que nous sommes des peureux !
Farag passa le premier. Une seconde haie apparut alors devant nous sans que l’on puisse en voir la fin ni d’un côté ni de l’autre. Les deux formaient un interminable couloir.
— Vous préférez à droite ou à gauche ? se moqua Farag qui ne se départissait pas de sa bonne humeur.
— Quelle direction prit Dante en arrivant à la deuxième corniche ?
Le capitaine ouvrit son sac à dos, prit son exemplaire de La Divine Comédie et le feuilleta.
— Voici ce que relate la troisième strophe du chant XIII, dit-il, visiblement ému : « On ne voit là ni figure ni image : la rive et la voie y sont lisses. » Et, plus loin, en parlant de Virgile : « Puis il fixa les yeux sur le soleil ; il pivota sur son flanc droit, en faisant tourner son côté gauche. » Vous en conviendrez, il ne saurait y avoir d’explication plus claire.
— Mais où est le soleil ? dis-je en le cherchant des yeux.
Les arbres gigantesques étaient disposés de telle sorte qu’il était impossible de deviner où il se trouvait à cet instant.
Le capitaine regarda sa montre, sortit une boussole et indiqua un point dans le ciel.
— Il doit être plus ou moins par là.
En effet, une fois qu’on avait compris dans quelle direction regarder, il était facile de
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