Le Dernier Caton
profiter, elle consacra toutes ses forces à assombrir la grandeur passée de son ennemie. Non contente de se remplir de magnifiques constructions byzantines, qui, aujourd’hui encore, font l’orgueil de la ville et de toute l’Italie, la capitale introduisit, comme une humiliation supplémentaire, le culte à saint Apollinaire, patron de Ravenne, dans la basilique même de Saint-Pierre.
Farag laissa échapper un léger sifflement.
— Oui, dit-il, je pense en effet que l’envie est une grande caractéristique de la Ravenne byzantine. Quelle idée ! Et comment savez-vous tout cela ?
— Il existe un diocèse à Ravenne. Beaucoup de gens à travers le monde travaillent pour nous en ce moment, en particulier dans les villes que nous devons visiter. Sachez que dans chacune d’elles tout est déjà prêt pour notre arrivée. L’arrestation des stavrophilakes est devenue une entreprise à grande échelle que nous ne menons plus seuls. Toutes les Églises chrétiennes ont un intérêt dans cette affaire.
— Peut-être, mais toutes ne risquent pas leur vie comme nous.
— Oui, et avec tous ces bavardages nous n’avons pas encore fini de lire les informations sur Internet, dit le capitaine en se tournant vers l’écran. L’église paraît en assez mauvais état, mais il existe encore une petite communauté de bénédictins qui dirigent une auberge pour randonneurs. Le lieu se trouve au centre exact du bois de Palu, qui leur appartient, et fait plus de cinq mille hectares.
— La porte est étroite…, rappelai-je.
— Il va falloir traverser ce bois ? voulut savoir Farag.
— C’est une propriété privée. On ne peut y entrer sans la permission des moines. En tout cas, nous nous rendrons sur place en hélicoptère.
— Voilà qui devient amusant, dis-je.
— Ce que je vais vous dire ne vous amusera pas autant. Je vous demande de préparer ce soir vos valises parce que nous ne reviendrons pas à Rome avant d’avoir trouvé Caton. Demain, après l’épreuve, l’hélicoptère nous attendra à Ravenne pour nous conduire directement à Jérusalem.
5
L’héliport du Vatican était une étroite surface rhomboïdale entourée par la robuste muraille Léonine, qui séparait la Cité du reste du monde depuis onze siècles. Le soleil venait d’apparaître à l’est dans un ciel d’un bleu azur radieux et clair.
— Nous allons avoir un vol magnifique ! cria le pilote du Dauphin AS-365-N2 en mettant le moteur en marche.
Les pales tournèrent doucement avec un bruit de ventilateur géant, qui ne ressemblait en rien à celui qu’on entend dans les films. Le pilote, un jeune blond robuste et grand, portait une combinaison grise aux multiples poches. Il avait un sourire franc, et ne cessait de nous regarder. Il devait se demander qui nous étions pour avoir le rare privilège de monter dans son brillant appareil blanc.
Je me sentais un peu nerveuse. Farag, lui, examinait tout ce qui nous entourait avec la curiosité d’un touriste étranger qui visiterait une pagode chinoise.
La veille au soir, j’avais préparé ma valise avec une grande inquiétude. Mes camarades m’avaient aidée et encouragée de leurs plaisanteries avant de me régaler d’un bon dîner. J’aurais dû me sentir dans la peau d’une héroïne qui s’apprête à sauver le monde mais, en fait, je me sentais terrorisée, écrasée par un indéfinissable poids intérieur. Comme si je vivais les derniers moments de ma vie, et prenais mon dernier repas. Mais le pire, ce fut quand nous allâmes prier toutes ensemble à la chapelle, et que mes sœurs exprimèrent à voix haute leurs souhaits pour moi et ma mission. Je ne pus retenir mes larmes. Pour une raison inexplicable, je sentais que je ne reviendrais pas, que je ne prierais plus jamais dans cet endroit où j’étais venue si souvent. J’essayais de chasser ces craintes de mon esprit en me disant que je devais être plus courageuse et que, si jamais, en effet, je ne revoyais pas ces lieux, ce serait pour une bonne cause, celle de l’Église.
Et voilà que je me retrouvais pour la première fois de ma vie dans un hélicoptère ; je fis le signe de croix en entrant dans l’appareil et fus surprise de constater comme il était confortable et élégant. Pas de bancs métalliques ni d’équipement militaire. Farag et moi nous assîmes dans un des profonds fauteuils de cuir blanc de la silencieuse cabine, qui bénéficiait de l’air conditionné et de larges
Weitere Kostenlose Bücher