Le Dernier Caton
le bouger d’un pouce. Il semblait surgir de la terre, en faire partie.
— Sa forme me dit quelque chose, commentai-je en l’examinant de près. Ce n’est pas un signe du zodiaque ?
Le capitaine attendit, patient, que les deux experts rendent leur verdict.
— Non, je ne crois pas, dit Farag en nettoyant la mousse accumulée sur la pierre. En fait, depuis l’Antiquité, ce symbole indique la planète Saturne.
— Que vient faire Saturne là-dedans ?
— Si nous le savions, nous pourrions rentrer chez nous, grogna le capitaine.
Je fis une grimace que seul Farag put voir et qui le fit sourire. Puis nous reprîmes la marche. La nuit tombait. On entendait de temps en temps le cri d’un oiseau et le bruissement des feuilles agitées par le vent. Il commençait à faire plus frais. Il ne manquait plus que ça !
— Nous allons devoir passer la nuit ici ? demandai-je en remontant le col de ma veste.
Heureusement, elle était en peau et possédait à l’intérieur une bonne doublure de flanelle.
— Je le crains, Basileia. Kaspar, j’espère que vous avez prévu cette contingence.
— Que signifie ce mot Basileia ? voulut savoir le capitaine.
Mon cœur se mit à battre plus vite.
— C’est un terme, très courant à l’époque byzantine, qui signifie « femme noble ».
Menteur ! pensai-je tout en poussant un soupir de soulagement. Ce mot n’était vraiment pas courant, puisqu’il signifie « impératrice » ou « princesse ».
Il n’était que six heures et demie, mais le capitaine dut allumer sa puissante torche électrique parce que nous étions plongés dans l’obscurité la plus complète. Nous avions marché toute la journée sur de longs chemins de terre sans avoir atteint notre but. Nous fîmes enfin une pause et nous laissâmes tomber à terre pour prendre notre premier repas depuis le départ de Rome. Tandis que nous mangions les désormais fameux sandwichs au salami et fromage du capitaine qui, fidèle à sa nature monolithique, n’avait pas changé de menu, nous récapitulâmes les faits de la journée pour parvenir à la conclusion qu’il nous manquait encore trop d’éléments pour compléter le puzzle. Le lendemain, nous saurions avec plus de certitude à quoi nous attendre. Une Thermos de café chaud nous remit de bonne humeur.
— Et si nous dormions ici et nous remettions en marche à l’aube ? proposai-je.
— Il vaudrait mieux continuer, répondit le capitaine.
— Mais nous sommes épuisés !
— Kaspar, je pense que nous devrions écouter Ottavia. La journée a été longue, approuva Farag.
Glauser-Röist dut céder. Nous improvisâmes alors notre campement. Le capitaine nous donna deux épais bonnets de laine, qui nous firent beaucoup rire et le regarder comme s’il était devenu fou.
— Quels idiots ! cria-t-il. Vous ne savez donc pas que, pour éviter le froid, il faut se couvrir la tête ! Elle est responsable d’une bonne partie de la perte de chaleur du corps. L’organisme humain est programmé pour sacrifier ses extrémités si le torse et le dos se refroidissent. En évitant toute perte de chaleur par la tête, nous maintiendrons notre température corporelle et nous aurons les pieds et les mains chauds.
— Ouf ! c’est compliqué ! je ne suis qu’un pauvre citoyen du désert, dit Farag qui se pressa néanmoins d’enfiler le bonnet.
Celui que m’avait donné le capitaine me parut familier, mais je n’arrivais pas à savoir pourquoi.
Glauser-Röist sortit de son sac à dos magique ce qui ressemblait à deux petites boîtes de tabac. Il nous expliqua d’un ton patient qu’il s’agissait de couvertures de survie faites de plastique aluminé. Elles étaient très légères et maintenaient la chaleur. La mienne était rouge d’un côté et argentée de l’autre. Celle de Farag, jaune, et celle du capitaine, orange. Il avait encore une fois raison car, munie de ma couverture qui crépitait au moindre mouvement et du bonnet, j’oubliai presque que j’étais au beau milieu d’une forêt. J’appuyai doucement mon dos contre la haie, et m’assis entre les deux hommes. Le capitaine éteignit sa lampe. Je suppose que je m’endormis, sans m’en rendre compte, contre Farag. Alors que je laissais tomber ma tête sur son épaule, je me rappelai que mon bonnet de laine ressemblait à celui de la jeune fille sur la photo dans le salon de l’appartement du capitaine.
Le jour se levait – si l’on peut appeler
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