Le Dernier Caton
langues diverses, qui, amplifiées par la caisse de résonance que formait la place, produisaient un bourdonnement discordant. Nous retrouvâmes sur le porche les religieuses orthodoxes que nous avions croisées. Elles tournaient le dos à d’autres nonnes, catholiques cette fois, habillées de clair avec des jupes courtes. Beaucoup de femmes portaient autour du cou, comme un collier, de très beaux rosaires ; certaines priaient à genoux sur le dur sol de pierre. Il y avait aussi beaucoup de prêtres catholiques, ainsi que des religieux des ordres les plus divers. Abondaient les longues barbes fournies typiques des moines orthodoxes. Ils étaient coiffés de bonnets noirs tabulaires aux modèles différents : lisses, ornés de rubans, avec un petit toit en forme de cheminée ; certains portaient même une large coiffe qui descendait dans le dos. Des colombes blanches voletaient au-dessus de la foule en planant d’une corniche à l’autre, d’une fenêtre à l’autre ; elles paraissaient chercher la meilleure place pour contempler le spectacle.
La façade de l’église était très curieuse, avec ses portes jumelles situées sous deux fenêtres semblables d’arc aigu. Étrangement, la porte de droite paraissait couverte de pierres. Quant à l’intérieur… il était étourdissant ! Comme l’entrée se faisait par le côté latéral de la nef, on ne pouvait avoir une perspective complète tant que l’on n’avait pas suffisamment avancé. Entre-temps, la lumière de centaines de cierges orientaux illuminait le trajet. Ce fut un moment si chargé d’émotion que je peux à peine me souvenir de ce que je vis. Le père Murphy nous expliquait par le menu tous les détails de chaque endroit où nous passions. Près de l’entrée, nous vîmes la pierre d’Onction, entourée de candélabres et de lampes. C’est sur cette grande dalle rectangulaire de calcaire rouge qu’aurait été déposé le corps du Christ après la descente de Croix. Des gens jetaient de l’eau bénite dessus, d’un geste plein de ferveur, tandis que des dizaines de mains y humidifiaient mouchoirs et rosaires. Il était impossible de s’en approcher. Au centre de la basilique, se trouvait le catholicon, le lieu où, supposait-on, se trouvait le tombeau du Christ. Sa façade était recouverte de petites lampes abritées sous de jolis globes d’argent. Au-dessus de la porte, trois tableaux décrivaient la Résurrection, chacun dans un style différent, latin, grec et arménien. Passée la porte du catholicon , on parvenait à un petit vestibule appelé « chapelle de l’Ange » : c’est là que la Résurrection aurait été annoncée aux saintes femmes. Derrière une autre porte imposante, se trouvait le Saint-Sépulcre, un lieu petit et étroit dans lequel on distinguait le banc de marbre qui recouvrait la pierre originale où fut placé le corps de Jésus. Je m’agenouillai un instant seulement, car il y avait trop de monde, et ressortis un peu furieuse. Le lieu était peut-être fascinant et porteur d’un certain type de religiosité, mais la pression de la foule enlevait tout sentiment de ferveur.
Un escalier nous conduisit à l’endroit où, selon Jacques de Voragine, sainte Hélène découvrit les trois croix. La salle aux murs de pierre était ample et spacieuse ; une barrière de fer forgé protégeait l’endroit exact où les reliques apparurent. Le père Murphy commença à nous raconter la légende entourant la découverte de la vraie Croix et nous comprîmes alors que nous en savions plus qu’un des experts mondiaux les plus réputés. L’affable archéologue se rendit rapidement compte qu’il se trouvait en compagnie de gens érudits, qui pouvaient peut-être lui apprendre des choses, et écouta très attentivement nos remarques.
Nous parcourûmes la basilique de haut en bas, la rotonde de l’Anastasis incluse, et pendant la visite nos cicérons, Pierantonio et le père Murphy, nous racontèrent que les communautés latine, grecque et arménienne étaient copropriétaires à parts égales du temple régi par un statu quo. Un accord fragile qui, à défaut d’une solution meilleure, essayait de rétablir la paix entre les diverses Églises chrétiennes de Jérusalem. Coptes orthodoxes, Éthiopiens et Syriens pouvaient célébrer leurs cérémonies dans l’église. Farag protesta, véhément, en demandant pourquoi les coptes catholiques ne bénéficiaient pas d’un tel traitement de faveur. Mais le
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