Le Dernier Caton
vers nous.
— Venez.
Le vieil homme sortit un trousseau de clés d’une poche de sa soutane, se dirigea vers la grille de fer et l’ouvrit lentement, comme au ralenti. Avant de faire de même avec la porte en bois, il appuya sur un interrupteur antédiluvien situé sur le côté.
Ma surprise fut énorme quand, en entrant sous la voûte secrète des stavrophilakes, construite vers l’an mil pour protéger la relique de la vraie Croix de la destruction ordonnée par le calife fou Al Hakim, je découvris une sorte de dortoir militaire avec cuisine. Un deuxième coup d’œil me permit d’apercevoir un petit autel au centre de la salle. Une belle icône, représentant la Crucifixion, trônait devant deux croix de petite taille qui étaient en fait les reliquaires des éclats de bois. À ma gauche, de vieilles armoires métalliques de bureau servaient de complément parfait aux chaises pliantes et aux tables de bois abandonnées. Si les stavrophilakes voyaient cela ! À moins que, tout bien réfléchi, ce ne fût la forme la plus intelligente de protéger un bien de cette valeur…
Les deux prêtres firent plusieurs fois le signe de croix à la manière orthodoxe, puis avec révérence et respect nous montrèrent à travers les vitres des reliquaires les petits bouts de bois de la Croix trouvée par sainte Hélène. Nous nous inclinâmes devant ces objets, sauf le capitaine, qui semblait pétrifié comme une statue de sel. Le père Stephanos, en s’en apercevant, s’approcha de lui et chercha du regard ce que le Suisse contemplait avec tant d’intérêt.
— C’est beau, n’est-ce pas ? dit-il dans un anglais très correct.
Nous nous approchâmes alors pour découvrir un splendide chrisme peint sur une grande planche de noyer sombre qui présentait également un long texte grec. La planche, disposée contre le mur, reposait directement sur le sol.
— C’est ma prière préférée. Cela fait cinquante ans que je médite sur ce qui y est écrit et, croyez-moi, chaque jour je trouve un nouveau trésor dans son message, si simple de sagesse.
— De quoi s’agit-il ? demanda Farag en se penchant pour mieux la voir.
— Il y a une trentaine d’années, des experts anglais nous ont dit qu’il s’agissait d’une prière chrétienne très ancienne, datant probablement du XII e ou XIII e siècle. Le pénitent qui en avait fait la commande et l’artiste qui l’avait réalisée n’étaient pas grecs, parce que le texte comporte beaucoup d’erreurs. Les experts pensaient que c’était probablement un hérétique latin qui visita ce lieu et, en guise de remerciements, qu’il fit cadeau à l’église de cette belle planche avec les pensées que lui inspira la vraie Croix.
Je me mis à genoux à côté de Farag et traduisis à voix basse les premiers mots : « Toi qui as vaincu l’orgueil et l’envie, vaincs maintenant la colère avec patience. » Je me levai d’un bond et regardai le capitaine en répétant ces mots.
Il écarquilla les yeux. Tout candidat ayant passé les épreuves de Rome et de Ravenne savait que ce message s’adressait personnellement à lui.
— Voici ce que dit la première phrase, celle peinte avec les lettres onciales rouges.
Le père Stephanos me regarda affectueusement.
— Vous comprenez le sens de cette prière ?
— Excusez-moi, dis-je. J’ai changé de langue sans m’en rendre compte, je suis désolée.
— Oh ! ne vous inquiétez pas, je suis très content d’avoir vu l’émotion dans vos yeux quand vous avez lu le texte. Je crois que vous avez compris l’importance de la prière.
Farag se leva, et nous échangeâmes des regards entendus. Puis nous nous tournâmes tous les trois d’un même mouvement vers le père Stephanos. Un stavrophilake ?
— Puisque cela vous intéresse, dit-il, je peux vous donner le feuillet que l’on a fait imprimer à la suite de la visite des experts anglais. Il comporte une reproduction entière de la planche et d’autres plus petites avec des détails concrets. Mais il s’agit d’une publication un peu ancienne et les images sont en noir et blanc. La prière y est traduite, même si, je vous préviens, ajouta-t-il en souriant assez fier de lui, j’en suis le traducteur.
Et, avec un visage plein d’émotion, il commença à réciter :
— « Toi qui as vaincu l’orgueil et l’envie, vaincs maintenant la colère avec patience. De même que la plante se dresse impétueuse par la volonté du soleil,
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