Le Dernier Caton
alors ? Tout cela paraît si incroyable ! Allez, raconte !
Je m’arrêtai brusquement au milieu d’une procession d’Américains qui suivaient le chemin de croix et me tournai vers lui :
— Écoute, nous allons passer un marché, lui dis-je. Tu me parles de Glauser-Röist, et je te raconte toute l’histoire en détail.
Le visage de mon frère se transforma. Il me sembla voir de la haine dans ses yeux sombres. Il secoua la tête.
— Tu m’as dit à Palerme, insistai-je, que c’est l’homme le plus dangereux du Vatican et, si ma mémoire est bonne, tu m’as demandé ce que je faisais avec un homme que tout le monde craignait et qui accomplissait les basses œuvres de l’Église.
Pierantonio reprit la marche en me laissant derrière.
— Si tu veux que je te raconte l’histoire de Dante et des stavrophilakes, le tentai-je en le rattrapant, tu devras me parler de Glauser-Röist. C’est toi-même qui m’as appris à obtenir des informations sans faire cas des problèmes de conscience.
Mon frère s’arrêta de nouveau.
— Tu veux tout savoir sur le capitaine Kaspar Glauser-Röist, me dit-il d’un ton de défi. Très bien ! Sache que ton cher collègue est chargé de laver le linge sale de tous les membres importants de l’Église. Depuis trois ans, cet homme s’applique à détruire tout ce qui peut ternir l’image du Vatican. Détruire au sens propre, par les menaces, l’extorsion et certainement des méthodes encore plus expéditives. Personne ne lui échappe : journalistes, banquiers, cardinaux, hommes politiques, écrivains… Si tu as quelque chose de secret dans ta vie, Ottavia, il vaut mieux qu’il ne le sache pas, car il n’hésitera pas à s’en servir contre toi un jour, de sang-froid, sans aucune compassion.
— Tu exagères ! dis-je, non parce que je mettais ses affirmations en doute, mais parce que je savais que de cette manière je le poussais à continuer.
— Ah ! tu crois ? s’indigna-t-il tout en reprenant la marche pour rattraper les autres qui avaient pris beaucoup d’avance. Tu veux des preuves ! Tu te souviens de l’affaire Marcinkus ?
Ce nom me disait quelque chose, mais de manière vague, car tout ce qui ne touchait pas à la foi était éloigné de ma vie comme de celle de tous les religieux. Nous aurions très bien pu nous tenir au courant, mais nous ne le voulions pas. Nous n’aimions pas entendre ce genre d’accusations, et nous faisions la sourde oreille à tous les scandales susceptibles de ternir l’image de l’Église.
— En 1987, la justice italienne donna l’ordre d’arrêter l’archevêque Paul Casimir Marcinkus, directeur de l’Institut pour les Œuvres religieuses, appelé aussi Banque vaticane. Après sept mois d’enquête, il était accusé d’avoir conduit à la faillite, de manière frauduleuse, la banque Ambrosiano de Milan. Cette dernière était contrôlée par un groupe de sociétés étrangères dont le siège se trouvait dans les paradis fiscaux du Panama et du Liechtenstein. En fait, elles servaient de couverture à l’Institut et à Marcinkus. La banque Ambrosiano présentait un trou de plus de 1 200 000 000 de dollars. Le Vatican n’en versa aux créanciers que 250 millions. Plus de 900 millions avaient été « absorbés » par le Vatican. Et devine qui fut chargé d’empêcher que Marcinkus ne tombât dans les mains de la justice, et d’enterrer cette affaire trouble ?
— Le capitaine Glauser-Röist !
— Exactement ! Ton cher ami parvint à faire transférer Marcinkus au Vatican avec un passeport diplomatique pour empêcher la police italienne de l’arrêter. Une fois ce dernier mis à l’abri, le capitaine organisa une campagne telle que l’archevêque fut juste qualifié de gestionnaire naïf, négligent, inattentif. Il le fit ensuite disparaître en lui arrangeant une nouvelle vie dans une petite paroisse de l’Arizona.
— Je ne vois rien de délictueux là-dedans.
— Non, en effet, ton ami ne fait jamais rien en dehors de la loi ! Il l’ignore, c’est tout ! Un cardinal est arrêté à la frontière suisse avec une sacoche remplie de millions, qu’il veut faire passer par la valise diplomatique. Glauser-Röist s’empresse de remédier à l’affaire. Il va chercher le cardinal, le ramène au Vatican, et se débrouille pour que les douaniers « oublient » l’incident et en effacent toute trace ; ainsi la mystérieuse évasion de devises n’a jamais eu
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