Le Dernier Caton
Curieusement un autre groupe semblable nous dépassa presque aussitôt après, sans chapeau, mais avec des cierges de cire jaune entre les mains.
— Petite Ottavia, tu deviens très têtue !
— Parle !
Pierantonio garda le silence et réfléchit pendant un long moment avant de prendre une profonde inspiration :
— Tu t’en souviens, je t’ai parlé l’autre fois des problèmes que j’ai avec le Saint-Siège…
— Oui.
— Je t’ai parlé de toutes ces écoles, hôpitaux, maisons de retraite, missions archéologiques, maisons de pèlerins, études bibliques, charges de rétablissement du culte catholique en Terre sainte dont nous nous occupons…
— Oui et aussi de l’ordre que t’a donné le pape de restaurer le Cénacle sans t’en procurer les moyens financiers.
— Exactement. C’est bien cela dont il s’agit.
— Qu’as-tu fait ? demandai-je, peinée.
Le chemin était soudain devenu vraiment douloureux.
— Voilà… J’ai dû vendre certaines choses…
— Quelles choses ?
— Certains objets trouvés lors des fouilles.
— Oh ! Pierantonio !
— Je sais, je sais, déclara-t-il d’un air contrit. Mais, si cela peut te consoler, sache que je les ai vendus au Vatican.
— Comment ! ?
— Il y a de grands collectionneurs d’art parmi les princes de l’Église. Peu avant que n’intervienne Glauser-Röist, l’avocat qui travaille sous mes ordres à Rome a vendu à un prélat, que tu ne connais pas personnellement mais qui a longtemps fait partie des Archives secrètes, une mosaïque du VIII e siècle trouvée dans les ruines de Banu Ghassan. Elle lui a coûté trois millions de dollars. Je crois qu’il l’a mise dans son salon.
— Oh ! ce n’est pas possible, fis-je, accablée.
— Sais-tu à quoi a servi cette somme ?
Mon frère ne semblait pas du tout rongé par le remords.
— Nous avons créé de nouveaux hôpitaux, nous avons pu nourrir plus d’indigents, nous avons créé plus d’hospices et plus d’écoles. Où est le mal ?
— Trafiquer des œuvres d’art, Pierantonio !
— Mais puisque je les leur revendais à eux ! Rien de ce qui est passé entre mes mains n’a abouti chez des particuliers qui ne sont pas sanctifiés par la prêtrise. Et tout l’argent gagné a été investi en faveur des pauvres, pour combler des besoins urgents. Certains de ces princes de l’Église ont beaucoup d’argent et ici nous manquons de tout… (Je vis réapparaître une lueur de haine dans son regard.) Jusqu’à ce qu’un beau jour se présente à mon bureau ton ami Glauser-Röist. Bien sûr, j’avais déjà entendu parler de lui. Mais il avait mené une enquête sur mes activités. Il m’interdit de poursuivre mes ventes clandestines sous peine de faire éclater le scandale, de salir mon nom et celui de mon ordre. « Je peux me débrouiller pour que votre visage fasse la une de tous les journaux », m’a-t-il dit. J’ai eu beau lui expliquer mes motifs, les hôpitaux, les écoles, cela lui était complètement égal. Et voilà, aujourd’hui je suis couvert de dettes, et je ne sais pas comment je vais gérer cette situation…
Que m’avait dit Farag dans les catacombes ? « Même si elle doit faire mal, la vérité est toujours préférable au mensonge. » Je me demandai si la bonté de mon frère, même si elle empruntait des voies illégales, n’était pas préférable à l’injustice. Peut-être doutais-je parce qu’il s’agissait de mon frère et que je voulais désespérément lui trouver des excuses ? La vie n’est-elle pas un fatras d’ambiguïtés, de compromis que nous essayons de contenir dans une structure absurde de normes et de dogmes ?
Tandis que j’étais perdue dans ces pensées, notre petit groupe pénétra soudain, au détour d’une rue, sur la place de l’église du Saint-Sépulcre. Je m’arrêtai net, envahie par l’émotion. Là, devant mes yeux, se trouvait l’endroit où Jésus avait été crucifié. Je sentis les larmes me monter aux yeux.
La basilique, construite sur ordre de sainte Hélène à l’emplacement où elle crut découvrir la vraie Croix, était impressionnante : une mosaïque de toits et de dômes, des pierres millénaires, de grandes fenêtres, tours carrées avec tuiles rouges… La place était bondée de gens de tous pays et de toutes conditions. Des groupes de touristes s’agglutinaient près d’étroites croix de bois et entonnaient des chants religieux dans des
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