Le Dernier Caton
d’émotion, plus éloquent que toute parole. Mais ce bel accord fut de courte durée. Farag s’apprêtait à avancer vers Zéphyr quand, aussi incroyable que cela pût paraître, le capitaine se plaça devant lui, en faisant barrière de son corps pour nous empêcher de refaire le chemin. Farag s’approcha et lui hurla quelque chose à l’oreille, mais Glauser-Röist continuait à secouer la tête en indiquant du doigt la direction opposée. Farag essaya encore une fois, mais le Roc, plus inamovible que jamais, continua à secouer la tête et repoussa Farag vers moi, qui me trouvais près d’Apeliote.
Il n’y eut pas moyen de le convaincre. Nous eûmes beau crier, gesticuler et essayer de forcer le barrage, le capitaine maintint une opposition tenace en nous obligeant finalement à lui obéir. J’ignorais quel châtiment terrible nous attendait si nous n’écoutions pas Dante, mais je préférai ne pas y penser tandis que nous revenions vers Euronotos. Farag et moi étions désespérés. Le capitaine se trompait, mais comment le lui faire comprendre ?
Il nous fallut environ une demi-heure pour traverser les cinq vents qui nous séparaient de Zéphyr. J’étais si épuisée que je rêvais de la fin de l’épreuve et du sommeil bénéfique où nous plongeraient les stavrophilakes, dans un nuage de fumée blanchâtre comme à Ravenne. Si nous réussissions, bien sûr. J’étais furieuse d’être aussi fatiguée, et j’enviais au capitaine sa force physique, et à Farag sa capacité de résistance naturelle. Quand tout cela prendrait fin, me promis-je, je ferais de la gymnastique. Il était inutile de mettre cette faiblesse sur le compte de la différence de sexe : une paysanne russe ne serait jamais plus fragile qu’un employé chinois. La seule raison de cette fatigue était la vie sédentaire que j’avais menée jusqu’alors.
Enfin nous atteignîmes l’angle mort entre Libs et Zéphyr. Je poussai un soupir de soulagement avec un léger sourire et, comme j’étais la première, m’approchai de l’entrée du bothros où soufflait un vent doux comme la brise et tempéré comme un jour de printemps. Je glissai tout doucement ma main droite dans la cavité en craignant de la voir arrachée, et mon cœur se remit à battre quand je constatai que, bien que Zéphyr fut un peu plus violent que ce que prétendaient les poètes, sa véhémence n’avait rien à voir avec celle de ses frères. Il ne brûlait pas, ne gelait pas, ne crachait pas de grêlons, et ma main ondulait sous son souffle comme si je l’avais passée par la vitre d’une voiture en marche. Nous avions trouvé la sortie !
Zéphyr m’aspira et me sauva la vie. Je m’écroulai par terre une fois à l’abri dans l’étroit bothros et respirai librement son air doux qui pénétrait mes poumons comme un parfum. Je serais volontiers restée là quelques instants, mais je devais avancer pour permettre à mes compagnons d’entrer à leur tour. Je sus qu’ils l’avaient fait en entendant leurs cris de colère.
— On peut savoir pour quelle raison vous nous avez fait parcourir les trois quarts de la grotte ? cria Farag, indigné. Nous étions presque à côté de Zéphyr quand nous vous avons trouvé ! Vous ne vous souvenez pas que Dante disait d’aller à droite ?
— Taisez-vous ! dit le capitaine d’un ton autoritaire. C’est exactement ce que j’ai fait !
— Vous êtes fou ! Nous avons marché dans le sens des aiguilles d’une montre ! Vous ne distinguez pas la droite de la gauche !
— Allons, allons, calmez-vous, dis-je en les voyant aussi furieux. Après tout, on s’en est sortis sains et saufs.
— Professeur Boswell, que disait Dante ? Qu’il fallait laisser la droite vers le dehors !
— La droite, Kaspar, pas la gauche !
— La droite vers le dehors, professeur, enfin, vous ne comprenez pas ?
Je fronçai les sourcils. La droite vers le dehors… Dans ce cas, Glauser-Röist avait raison. Dante et Virgile avançaient le long de la corniche d’une montagne et avaient à leur droite un vide, un précipice. Mais nous, nous marchions collés au mur, de sorte que notre droite était le centre de la grotte, notre côté libre était l’intérieur, pas l’extérieur comme dans le cas de Dante. Mais l’important, c’était que nous étions parvenus au but, même si cela aurait été plus rapide en passant de l’autre côté. Je m’empressai de le faire remarquer pour apaiser les
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