Le Dernier Caton
et quelques longues années au cours desquelles il avait mené sa vie loin de moi. Il avait vécu, rêvé, travaillé, respiré, ri et même aimé, sans se douter qu’au bout du chemin je l’attendais. Moi non plus, je ne le savais pas. Mais nous nous étions trouvés, et c’était miraculeux qu’un homme comme Farag Boswell ait posé les yeux sur une femme comme moi, qui ne possédait pas une once de charme. Bien sûr, la beauté n’est pas tout, mais enfin elle joue bien un rôle et, si cela ne m’avait jamais préoccupée jusque-là, à cet instant précis j’aurais aimé être belle et séduisante pour qu’à son réveil il fût totalement estomaqué.
Je poussai un soupir et ris doucement. Il ne fallait pas demander trop de miracles, non plus. Je devais faire avec ce que j’avais. Je regardai autour de moi, ne vis personne, et me penchai lentement pour déposer un baiser sur son front avant qu’il ne se réveillât.
— Professeur Salina ? Vous vous sentez bien ? Et le professeur Boswell ?
Je sursautai, effrayée. Mon cœur battait à mille à l’heure. Le visage rouge, je me levai d’un bond.
— Capitaine ! m’exclamai-je en m’éloignant de Farag.
— Où sommes-nous ?
— J’aimerais bien le savoir.
— Il faut réveiller le professeur. C’est le seul qui parle turc.
Le capitaine s’appuya sur les mains pour soulever son corps mais un rictus de douleur le stoppa net.
— Où diable nous ont-ils marqués cette fois ?
D’un geste machinal, je portai la main à l’épaule, sur mes cervicales, et sentis les piqûres familières.
— Je crois que nous avons reçu la première des trois croix sur la colonne vertébrale.
— Cela fait un mal de chien !
Comment ne m’en étais-je pas aperçue ? La douleur se fit soudain intense.
— Vous avez raison, je crois que c’est plus douloureux que les autres fois.
— Cela passera… Nous devons réveiller le professeur.
Il commença à le secouer sans pitié.
— Ottavia… ? demanda-t-il sans ouvrir les yeux.
— Désolé, mais ce n’est que moi, Kaspar.
Farag sourit.
— Ce n’est pas tout à fait la même chose, en effet. Et Ottavia ?
— Je suis là, dis-je en prenant sa main.
Il ouvrit les yeux et me sourit.
— Désolé de vous déranger, dit le capitaine, mais nous devons retourner au patriarcat.
— Vous avez fouillé vos poches, capitaine ? lui demandai-je sans quitter Farag des yeux. La piste pour l’épreuve d’Alexandrie est importante.
Glauser-Röist retourna toutes les poches de son pantalon et de sa veste.
— Le voilà ! dit-il d’un ton satisfait, en nous montrant le pli désormais habituel.
— Regardons, proposa Farag en se levant sans lâcher ma main. Ils nous ont marqué à l’épaule ? dit-il soudain, très surpris.
— Oui, au niveau des cervicales.
— Cela fait vraiment mal, cette fois.
Le capitaine, qui avait déplié le message, le lui tendit.
— Si vous ne lâchez pas la main du professeur Salina, vous ne pourrez pas le lire.
Farag rit et me lâcha, non sans m’avoir caressé le bout des doigts.
— J’espère que cela ne vous dérange pas, Kaspar.
— Rien ne me dérange, dit le capitaine d’un air très sérieux. Le professeur Salina est adulte, et sait ce qu’elle fait. Je suppose qu’elle arrangera sa situation auprès de l’Église dès qu’elle le pourra.
— Ne vous en faites pas, je n’oublie pas que je suis encore une religieuse. C’est une affaire privée mais, tel que je vous connais, je sais que vous serez plus tranquille si je vous dis que je suis consciente des problèmes.
Le pauvre se montrait si obtus sur certains sujets que je préférais mettre les choses au clair.
Farag lut le papier et en resta bouche bée.
— Je sais ce que c’est, dit-il, très ému.
— Forcément, puisque cela se passe dans votre ville natale.
— Non, non. Je ne l’ai jamais vu, mais je pourrais trouver l’endroit facilement.
— De quoi parles-tu ? dis-je en lui arrachant le papier des mains.
Cette fois le message ne contenait pas un texte, mais un dessin assez grossier au fusain. On distinguait parfaitement la forme d’un serpent barbu portant les couronnes pharaoniques des Haute et Basse-Égypte ornées d’un médaillon où apparaissait la tête de Méduse. Des anneaux du reptile, enroulés comme un nœud marin, émergeaient le thyrse de Dionysos, dieu de la nature et du vin, et le caducée d’Hermès, le dieu
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