Le Dernier Caton
dans son fauteuil en cherchant une posture plus commode et poursuivit :
— Tout ce que je vous raconte se déroula dans une période très brève. Vingt-quatre heures après l’accident, le saint synode de Grèce avait prévenu le Vatican et donné l’ordre que toutes les églises catholiques en possession de Ligna Crucis vérifient l’état de leurs reliquaires. Le résultat fut désastreux : soixante-cinq pour cent des étuis étaient vides. Parmi eux, ceux qui contenaient les fragments les plus importants, à Vérone et Rome, à Caravaca de La Cruz en Espagne, en France dans le monastère cistercien de La Boissière et à la Sainte-Chapelle. Mais, ce n’est pas tout, le continent sud-américain lui aussi avait été spolié, au Mexique et au Guatemala entre autres.
Je n’ai jamais éprouvé de dévotion particulière pour les reliques. Personne dans ma famille n’adorait ces étranges objets, ossements, tissus ou bois, pas même ma mère, qui avait pourtant gardé l’esprit du concile de Trente en matière de religion, et encore moins Pierantonio, qui vivait en Terre sainte et était responsable des excavations de plus d’un corps en odeur de sainteté. Pour autant, cette histoire ne laissait pas d’être étonnante. Beaucoup de fidèles ont foi en ces objets sacrés et leur croyance est respectable. De plus, bien que l’Église elle-même eût abandonné au fil du temps ces pratiques si douteuses, il existait encore en son sein un courant tout à fait favorable à la vénération des reliques. Mais le plus surprenant ici, c’était qu’il ne s’agissait pas du bras momifié d’un saint, ni du corps incorruptible d’un autre, mais de la croix du Christ, du bois sur lequel le corps du Sauveur avait souffert le martyre et la mort. Et, bien que tous les Ligna Crucis du monde puissent être a priori qualifiés de faux ou frauduleux, ces fragments étaient soudain devenus l’objet unique de la convoitise d’une bande de fanatiques.
— La deuxième partie de cette histoire, poursuivit le capitaine, imperturbable, concerne la découverte des scarifications sur le corps d’Iyasus. Tandis que les autorités grecques et éthiopiennes commençaient à enquêter sans succès sur la vie et les faits du sujet, Sa Sainteté décida, à la demande de l’Église d’Orient qui dispose de moins de moyens, que nous devions découvrir les auteurs des vols de Ligna Crucis , et leurs motifs. Les ordres du pape sont de mettre fin à ces actes sacrilèges, de récupérer les reliques, de dévoiler l’identité des voleurs et de les remettre entre les mains de la justice. En découvrant les scarifications, la police grecque fit appel à l’archevêque d’Athènes, Christodoulos Paraskeviades, et ce dernier, malgré ses mauvaises relations avec Rome, demanda l’envoi d’un agent spécial. Je fus cet agent et vous connaissez la suite.
Je n’avais rien mangé de toute la journée et je commençais à souffrir d’hypoglycémie. Il devait être très tard, mais je ne voulus pas regarder ma montre pour éviter de me sentir encore plus mal. Je m’étais levée à sept heures du matin, j’avais pris deux fois l’avion… Je me sentais soudain épuisée.
Il avait encore sans doute beaucoup de choses à me raconter, me dis-je en regardant le paquet devant moi, mais, malgré ma curiosité, si je ne mangeais pas bientôt, j’allais m’évanouir, c’était certain. Je profitai donc d’une pause du capitaine pour demander si nous pouvions nous arrêter quelques instants afin que je me restaure un peu car je ne me sentais pas très bien. Il y eut un murmure d’approbation unanime, personne n’avait dîné apparemment. Le cardinal Colli fit un signe au capitaine qui, après avoir repris le paquet qu’il rangea dans sa sacoche, quitta le cabinet et revint avec le maître d’hôtel.
Peu de temps après, une armée de serveurs en veste blanche entrait dans la salle avec des chariots chargés de mets. Son Éminence bénit le repas, et tous, le timide Boswell compris, nous nous jetâmes sur nos assiettes. J’avais si faim que plus je mangeais, moins je me sentais rassasiée. Je ne perdis pas mes manières, mais je dévorai comme si j’avais jeûné pendant un mois. Je suppose que mon appétit était dû aussi au manque de sommeil et à la fatigue. Finalement, en voyant le sourire mesquin de Tournier, je décidai de m’arrêter. J’avais assez récupéré pour le moment.
Pendant le dîner et jusqu’à ce
Weitere Kostenlose Bücher