Le Dernier Caton
que nous terminions l’exquis café qui suivit, le cardinal Colli nous raconta les grands espoirs que le pape nourrissait pour la résolution de ce problème compliqué de vols de reliques. Les relations avec les différentes Églises d’Orient étaient pires que ce à quoi l’on pouvait s’attendre après tant d’années de lutte en faveur de l’œcuménisme. Si nous parvenions à leur rendre leurs Ligna Crucis et à mettre fin aux vols, le patriarche de Moscou et de toutes les Russies, Alexis II, et le patriarche de Constantinople, Bartolomeos I er , les plus représentatifs parmi les dirigeants des Églises orthodoxes, seraient peut-être prêts à dialoguer et se montreraient plus favorables à la réconciliation. Ces deux patriarches chrétiens s’affrontaient actuellement pour la répartition des Églises orthodoxes qui appartenaient à l’ancienne Union soviétique, mais tous deux formaient une coalition inébranlable contre Rome au sujet des réclamations de nos catholiques de rite oriental, les uniates, qui revendiquaient des biens et des propriétés confisqués par le régime communiste. En réalité, il s’agissait d’un vulgaire problème de pouvoir et de propriété. La structure hiérarchique des Églises chrétiennes orthodoxes qui, en théorie du moins, n’existait pas comme telle, formait une trame serrée de complots historiques et de conspirations économiques : le patriarche de Russie convoitait les Églises indépendantes des pays de l’Europe de l’Est (Serbie, Bulgarie, Roumanie) et le patriarche de Constantinople, toutes les autres en Grèce, Syrie, Turquie, Palestine, Égypte, et même la puissante Église gréco-orthodoxe des États-Unis. Mais les frontières entre chacune n’étaient pas si claires qu’elles le paraissaient au premier abord ; il existait des monastères de chaque faction dans des zones d’influence opposées. Cependant, le patriarche de Constantinople, bien qu’il ne disposât d’aucun pouvoir, précédait en honneur tous les autres dignitaires orthodoxes, même si Alexis II paraissait ignorer cette tradition millénaire, tant sa principale préoccupation était d’empêcher que les autorités russes ne permettent l’entrée de l’Église catholique dans son fief. Ce qu’il avait obtenu jusqu’à maintenant avec succès.
Bref, c’était le chaos. Et notre rôle était de permettre à tous ces dignitaires de réaliser l’union de tous les chrétiens en résolvant l’affaire des vols. Nous devions servir en quelque sorte d’huile aux rouages rouillés de l’œcuménisme.
Depuis mon arrivée, le professeur Boswell n’avait pas desserré les lèvres, sauf pour manger. Mais il paraissait attentif à toutes les conversations car de temps en temps, sans s’en apercevoir, il faisait de légers signes d’approbation en hochant la tête. On avait l’impression que cette affaire était trop importante pour lui, qu’il se sentait dépassé, mal à l’aise.
— Bien, professeur Boswell, dit alors Tournier comme s’il lisait dans mes pensées, je crois que votre tour est venu. D’ailleurs, parlez-vous notre langue ? Avez-vous compris ce que nous disions ?
Le capitaine regarda fixement Tournier d’un air peu aimable tandis que Boswell clignait des yeux, intimidé, puis s’éclaircit la voix dans une tentative désespérée pour se rendre audible :
— Je la comprends parfaitement, Monseigneur, répondit-il avec un accent arabe prononcé. Ma mère était italienne.
— Ah ! magnifique, s’exclama Tournier avec un grand sourire.
— Le professeur Farag Boswell, expliqua Glauser-Röist avec une intonation coupante qui ne laissait aucun doute sur ses sentiments, parle arabe, copte, grec, turc, latin, hébreu, italien, français et anglais.
— Je n’ai aucun mérite, s’empressa d’expliquer Boswell, mon grand-père paternel était juif, ma mère italienne, et le reste de ma famille, moi y compris, sommes coptes catholiques.
— Mais vous portez un nom anglais, dis-je, étonnée, tout en me rappelant aussitôt que l’Égypte avait été une colonie anglaise.
— Voilà qui devrait vous plaire, professeur Salina, ajouta Glauser-Röist avec un de ses étranges sourires. Le professeur Boswell est l’arrière-petit-fils de Kenneth Boswell, l’un des archéologues qui ont découvert la ville byzantine d’Oxyrhynchos.
Oxyrhynchos ! En effet, voilà qui était intéressant, mais ce qui l’était encore plus, c’était de
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