Le Dernier Caton
serrant sa canne. Giacoma et Cesare qui étaient tout près d’elle se précipitèrent pour la soutenir, mais elle les repoussa d’un geste brusque. Elle baissa la tête et pleura en silence. Je n’avais jamais vu ma mère pleurer. Ni moi ni personne, et je crois que c’est ce qui nous fit le plus de mal. Déconcertés, nous nous regardâmes sans savoir quoi faire. Agueda et Lucia se mirent aussi à sangloter, et tous nous fîmes un pas vers ma mère pour la consoler. Mais Pierantonio nous devança. Il descendit les marches de l’autel en courant pour l’entourer de ses bras et de la main sécher ses larmes. Elle se laissa réconforter comme une enfant. Nous sûmes tous ce jour-là qu’une brèche, une fissure irréparable s’était produite. Un compte à rebours avait commencé. Elle ne se remettrait jamais de ces morts.
Quand la cérémonie fut terminée, tandis que nous entrions dans la maison pour servir le repas, je demandai à Giacoma de me prêter une voiture pour aller à Palerme ; je devais retrouver mes compagnons à midi et demi dans le restaurant de la Via Principe di Scordia.
— Mais tu es folle ! s’exclama ma sœur, les yeux écarquillés. Ce n’est pas un jour pour aller au restaurant !
— Il s’agit du travail, Giacoma.
— Cela m’est égal. Appelle tes amis et dis-leur de venir ici. Tu ne peux pas sortir, tu comprends !
Je joignis le capitaine sur son portable et lui expliquai que je ne pouvais pas abandonner la villa et qu’ils étaient invités à déjeuner chez moi. Je lui indiquai l’itinéraire à suivre et il me sembla remarquer une certaine réticence de sa part, qui m’énerva.
Ils arrivèrent enfin alors que nous allions passer à table. Le capitaine, impeccablement habillé comme toujours, avait une allure superbe tandis que Farag avait changé son style habituel pour celui d’un explorateur aguerri. Je fis les présentations. Farag paraissait déconcerté et intimidé, mais on percevait clairement dans son regard la curiosité du scientifique qui étudie une nouvelle espèce animale. Glauser-Röist de son côté dominait la situation. Son aplomb et son assurance furent les bienvenus dans cette atmosphère triste et lourde. Ma mère les reçut avec affabilité et Pierantonio, qui était à ses côtés, salua le capitaine cordialement, comme s’il le connaissait mais de manière superficielle. Mais tous deux se séparèrent immédiatement comme deux aimants aux pôles identiques.
Moi qui avais souhaité parler avec mon frère depuis la veille sans y parvenir, je me retrouvai soudain coincée par lui dans un coin du jardin où après le repas nous étions sortis prendre le café en profitant du beau temps. Mon frère avait des cernes sous les yeux et les traits marqués. Il me fixa du regard et me serra le poignet avec brusquerie :
— Pourquoi travailles-tu avec le capitaine Glauser-Röist ? me demanda-t-il sans ménagements.
— Je ne peux pas te donner de détails, c’est lié à l’affaire dont je t’ai parlé la dernière fois.
— Je ne m’en souviens plus, rafraîchis ma mémoire.
Je fis un geste d’impatience de ma main libre, en levant la paume.
— Mais que se passe-t-il ? Ça ne va pas, ou quoi ?
Mon frère sembla sortir d’un rêve et me regarda, déconcerté.
— Excuse-moi, Ottavia, balbutia-t-il en me lâchant. Je suis trop nerveux, je regrette.
— C’est à cause du capitaine ?
— Je regrette, oublie tout ça, dit-il en s’éloignant.
— Reviens ici, lui ordonnai-je d’un ton sec. Tu ne vas pas t’en aller comme ça, sans explications.
— La petite Ottavia se rebelle contre son frère aîné ? dit-il avec un sourire.
Mais cela ne m’amusa pas du tout.
— Parle, ou je me fâche pour de vrai.
Il me regarda, très surpris, et fit deux pas vers moi, les sourcils froncés :
— Tu sais qui est Kaspar Glauser-Röist ? Tu sais à quoi cet homme consacre sa vie ?
— Je sais qu’il appartient au corps des gardes suisses, travaille pour le tribunal de la Rote et coordonne l’enquête à laquelle je participe en tant que paléographe.
Mon frère secoua la tête plusieurs fois.
— Non, Ottavia, tu te trompes, Kaspar Glauser-Röist est l’homme le plus dangereux du Vatican, chargé d’exécuter les basses œuvres de l’Église. Son nom est associé à… (Il s’interrompit brusquement.) Elle est bien bonne celle-là ! Ma sœur travaille avec un homme que le Ciel et la Terre
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