Le Dernier Caton
ne sont ouvertes au public que les 13 et 20 décembre, et encore, pas dans leur totalité. Il reste des étages à explorer et de nombreuses galeries.
— Comment allons-nous y entrer ?
— Ce ne sera peut-être pas nécessaire. En réalité, nous ne savons pas ce que nous venons chercher. Ou plutôt ce que nous devons chercher. Comme à Sainte-Catherine. Nous allons regarder, nous promener, on verra bien. Qui sait, la chance nous sourira peut-être…
— Je ne veux pas ceindre de jonc ni me laver le visage, je vous préviens.
— Allons, ne soyez pas si têtue, me gronda le capitaine. Parce que c’est exactement ce que nous allons faire en arrivant. Si nous avons raison, si notre théorie concernant sainte Lucie est juste, avant la nuit nous aurons commencé les épreuves initiatiques des stavrophilakes.
Je préférai garder le silence pendant le reste du chemin.
Il était tard déjà quand nous entrâmes dans Syracuse. J’eus peur que le Roc ne veuille se rendre tout de suite dans les catacombes, mais heureusement, en traversant la ville, il se dirigea tout droit vers l’île d’Ortigia, au centre de laquelle, à peu de distance de la fameuse fontaine d’Aréthuse, se trouvait l’archevêché.
L’église du Dôme est d’une grande beauté, en dépit de son mélange de styles architecturaux accumulés les uns par-dessus les autres tout au long des siècles. La façade baroque, avec ses énormes colonnes blanches et sa niche supérieure contenant l’image de la sainte, est grandiose. Mais nous la dépassâmes sans nous arrêter. Nous étions à pied maintenant. Glauser-Röist avait garé la voiture devant l’église, et nous le suivîmes jusqu’au siège proche de l’archevêché. Nous fumes reçus par Son Excellence Giuseppe Arena en personne. L’archevêque nous offrit un dîner exquis et, au terme d’une conversation superficielle au sujet d’affaires concernant l’archidiocèse et un souvenir très particulier du pape, qui devait fêter ses quatre-vingts ans le prochain mercredi, nous nous retirâmes dans les chambres préparées à notre intention.
À quatre heures du matin, sans un misérable rayon de soleil pour briller à la fenêtre, quelques coups frappés à ma porte me réveillèrent. C’était le capitaine, fin prêt. Je l’entendis appeler Farag. Une demi-heure après, nous nous retrouvions tous les trois dans la salle à manger pour un abondant petit déjeuner servi par une sœur de l’ordre des dominicaines au service de l’archevêque. Le capitaine avait une mine superbe, évidemment, tandis que Farag et moi étions à peine capables d’aligner deux mots, comme d’habitude. Nous traversâmes la salle à manger comme des zombies en nous cognant aux chaises et aux tables. Le silence le plus absolu régnait, à part les pas feutrés de la religieuse. À la troisième gorgée de café, je m’aperçus que je pouvais enfin penser.
— Prêts ? demanda le capitaine, imperturbable, en posant sa serviette sur la table.
— Pas encore, dit Farag en tenant sa tasse de café comme un marin s’accrocherait au mât en pleine tempête.
— Moi non plus, dis-je par solidarité avec un regard complice.
— Je vais chercher la voiture. Je vous laisse cinq minutes. On se retrouve en bas.
— Bien. Mais je ne serai sans doute pas là, prévint Farag.
Je ris de bon cœur tandis que Glauser-Röist quittait la salle sans faire attention à nous.
— Cet homme est impossible ! fis-je tout en remarquant que Farag ne s’était pas rasé ce matin-là, ce qui lui allait plutôt bien.
— Nous ferions mieux de nous dépêcher. Il est capable de partir sans nous et alors que ferons-nous tous les deux à Syracuse un lundi matin à cinq heures ?
— Prendre un avion et rentrer chez nous, répliquai-je, d’un ton décidé, en me levant.
Il ne faisait pas froid. Le temps était printanier bien qu’un peu humide. La brise légère soulevait ma jupe. Nous montâmes dans la voiture et fîmes le tour de la place du Dôme pour prendre une rue qui menait directement au port. Le capitaine se gara, et nous marchâmes jusqu’au bout de la rade. À la lumière des réverbères encore allumés, on distinguait un sable blanc très fin avec des centaines de joncs. Le capitaine tenait entre ses mains un exemplaire de La Divine Comédie.
— Professeur, murmura-t-il, visiblement ému, le moment est venu de commencer.
Il posa le livre sur le sable et se dirigea vers les joncs.
Weitere Kostenlose Bücher