Le Dernier Caton
douloureuse contorsion de vieilles cordes, suivi du bruit d’un engrenage qui se mettait lentement en marche. Glauser-Röist éclaira toute la salle en tournant à toute vitesse sur lui-même, mais nous ne vîmes rien. Soudain Farag s’écria :
— La pierre ! Regardez la pierre !
Celle-ci, qui m’avait si gentiment précédée, s’élevait du sol, poussée par une sorte de plate-forme qui alla la placer devant la bouche du tunnel. Elle se glissa dedans, disparaissant de nouveau en un clin d’œil.
— Nous sommes enfermés ! m’écriai-je, angoissée.
La pierre allait glisser dans le conduit pour s’arrêter dans le cadre prévu à cet effet et, de l’intérieur, il serait impossible de la faire bouger. Ce cadre n’était pas fait pour sceller l’entrée, me dis-je, mais empêcher toute sortie.
Un autre mécanisme s’était mis en marche. Sur le mur en face de l’ouverture, une dalle de pierre tournait comme une porte sur ses gonds pour découvrir une petite niche de taille humaine qui présentait trois marches, l’une de marbre blanc, l’autre de granit noir et la dernière de porphyre rouge. Au-dessus, gravée sur la roche du fond, l’énorme silhouette d’un ange qui levait les bras dans une attitude de prière. Sur sa tête, dirigée vers le ciel, apparaissait une grande épée. Le relief était coloré. Comme le disait Dante, ses larges habits étaient couleur de cendre ou de terre sèche, sa chair rose pâle et ses cheveux noirs. Des paumes de ses mains qui s’élevaient, implorantes, sortaient, par des trous pratiqués dans la roche, deux bouts de chaîne de même longueur. L’une était indubitablement d’or et l’autre d’argent. Toutes deux, propres et reluisantes, étincelaient sous le rayon de la torche.
— Mais que veut dire tout cela ? demanda Farag en s’approchant.
— Ne bougez pas, professeur !
— Que se passe-t-il ? dit-il en sursautant.
— Vous ne vous souvenez pas des paroles de Dante ?
— Quelles paroles ? Vous avez apporté un exemplaire de La Divine Comédie , je suppose ?
Le Roc l’avait déjà sorti de son sac et l’ouvrit à la page correspondante :
— « Aux pieds saints, je me prosternai », lut-il.
— Ah non, on ne va pas recommencer à répéter tous les gestes de Dante, les uns après les autres ! protestai-je.
— L’ange sort alors deux clés, poursuivit le capitaine, et ouvre les serrures en commençant par celle en or. Souvenez-vous, si l’une des deux clés ne marche pas, la porte ne s’ouvre pas.
— Mon Dieu !
— Allons, Ottavia ! m’encouragea Farag. Essaye de t’amuser un peu. Quand même, c’est un très beau rituel.
Il avait en partie raison, je devais le reconnaître. Si nous ne nous étions pas trouvés à plusieurs mètres sous le sol, enterrés dans un sépulcre, toute sortie bouchée, j’aurais peut-être été en mesure d’apprécier cette beauté dont il parlait. Mais l’enfermement m’irritait et je sentais croître une intense sensation de danger.
— Je suppose, continua Farag, que les stavrophilakes ont choisi les trois couleurs alchimiques pour des raisons purement symboliques. À leurs yeux, comme pour tous ceux qui parviennent jusqu’ici, les trois phases du grand œuvre correspondent au processus que le candidat va réaliser dans son chemin vers la vraie Croix et le Paradis terrestre.
— Je ne comprends pas.
— C’est bien simple. Au Moyen Âge, l’alchimie était une science très valorisée, un grand nombre de savants la pratiquaient : Roger Bacon, Raymond Lulle, Arnaud de Villanova, Paracelse… Les alchimistes passaient une bonne partie de leur vie enfermés dans leur laboratoire, entourés de tubes, de cornues, d’alambics et de creusets. Ils cherchaient la pierre philosophale, l’élixir de vie éternelle. (Farag sourit.) Mais, en réalité, l’alchimie était un chemin de perfectionnement intérieur, une espèce de pratique mystique.
— Tu peux être plus concret, Farag ? Nous sommes enfermés dans un tombeau et nous devons sortir d’ici, je te le rappelle.
— Je suis désolé, balbutia-t-il. Tous ceux qui ont étudié l’alchimie, comme Cari Jung par exemple, soutiennent l’idée que c’était un chemin vers la connaissance de soi, un processus de recherche de soi-même qui passait par la dissolution, la solidification et la sublimation, ce qui correspond aux trois œuvres ou échelons alchimiques. Les candidats doivent peut-être traverser
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