Le Dernier Maquisard
responsable.
J’essayai de me repasser le film de la journée et l’enchaînement
de nos discussions. Cherchant en vain ce qui avait pu le contrarier
dans nos évocations du passé.
Peut-être le souvenir de Georgette. Mais Ginette n’était pas
responsable de ce malheureux hasard.
Pourtant, Marlène avait raison. Les responsabilités de Ginette
étaient énormes pour son âge. Surtout sa tache de secrétaire.
C’était peut-être pour ça qu’elle se montrait si sérieuse. Elle
avait conscience d’avoir accès à des informations confidentielles,
d’être la dépositaire de « secrets » dont la révélation
pouvait être lourde de conséquences à l’époque.
Et si elle semblait parfois dure, peut-être était-ce parce
qu’elle se sentait confusément responsable de la mort de Georgette
qui l’avait remplacée au dernier moment à sa demande. Ça n’avait
effectivement pas dû être facile à vivre pour elle, à dix-huit ans
à peine.
Je finis par m’endormir en pensant à Jeannette et à nos courtes
étreintes. Et aucun des fantômes du passé ne vint visiter mon
sommeil cette nuit-là.
Mais je me surpris, au réveil, à penser aux « filles »
du maquis. Ginette, bien sûr, que l’on voyait le plus souvent. Une
certaine Françoise, grande et à l’allure un peu chevaline, qui se
relayait avec une fille toute boulotte et pleine de taches de
rousseur, dont je ne parvenais pas à me souvenir du nom, pour le
ravitaillement et des messages.
Elles n’avaient toutes d’yeux que pour Georges, le
« chef » ! Mais Ginette ne semblait pas s’en
inquiéter. Peut-être était-elle consciente qu’elles ne pouvaient
être des rivales sérieuses.
Puis j’ai repensé à Georgette. Me demandant si, elle, qui avait
deux ans de plus que Ginette, aurait pu représenter une rivale à
ses yeux.
C’était stupide, et je balayai de mon esprit cette pensée
triviale. Mais, comme il n’était que six heures du matin et que
Georges semblait encore dormir, j’en ai profité pour me replonger
dans son bouquin sur le maquis qui était posé sur la table de
chevet.
J’avais l’impression qu’il ne parlait pas de Georgette dans son
livre et ne mentionnait même pas l’exécution sommaire d’un de ses
agents de liaison en octobre 1943.
Ça m’intriguait et je voulais vérifier si je l’avais mal lu.
Je ne trouvai pas de trace de Georgette dans tout le livre. Ni
dans le chapitre consacré à l’année 1943 ni dans celui sur l’année
1942. Pourtant, les noms des autres agents féminins étaient
mentionnés et je retrouvai celui de la petite boulotte – Jeannine.
Et je me souvins aussitôt que, si comme les autres, elle n’avait
d’yeux que pour le « capitaine Marceau », plus
prosaïquement elle était amoureuse de Riton qui, lui, était
secrètement amoureux de Ginette…
Riton, mon vieux copain.
Georges m’avait dit que ses parents étaient décédés à la fin des
années soixante-dix, mais j’avais oublié de lui demander ce
qu’était devenue sa petite sœur. Une gamine toute fluette qui
n’avait pas plus de huit ans à l’époque.
Élise, elle s’appelait.
Quand Riton me l’avait présentée, la première fois que je
l’avais accompagné chez lui lors d’une de nos fameuses
« permes », elle m’avait dit : « Élise, comme
la lettre. »
C’était une véritable petite tornade enjouée et pleine
d’admiration pour son grand frère « maquisard ». Un brin
autoritaire pour son âge.
J’eus une envie subite de la revoir. Tout au moins de savoir ce
qu’elle était devenue.
J’ai regardé ma montre – il était sept heures – et je me suis
décidé à prendre une douche et à m’habiller.
C’est le bruit de la douche qui a réveillé Georges. Faut dire
que sa tuyauterie était plutôt asthmatique.
Quand je suis descendu, le petit déjeuner était en cours de
préparation.
– Dis, Georges, la petite sœur de Riton, tu sais ce qu’elle est
devenue ?
– Ben, elle était à la réception à l’hôtel de ville et tu lui as
même parlé, il s’est étonné.
– Mais elle ne m’a pas dit qu’elle était la sœur de Riton,
fis-je à mon tour surpris.
Puis je me suis souvenu tout à coup qu’elle m’avait dit :
« Je suis Élise. » Mais je n’avais pas fait le
rapprochement.
– Qu’est-ce que je suis con ! je me suis exclamé à haute
voix. Tu sais où elle habite ?
– La ferme de ses vieux. Mais elle l’a rénovée du tout au
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