Le Dernier Maquisard

tout.
C’est plus une ferme et il y a même des chambres d’hôtes. Elle est
divorcée et elle vit seule là-bas. Mais pourquoi tu me demandes
ça ?
    – Il faut que j’aille lui rendre visite, dis-je joyeusement.
    Georges me regarda bizarrement en me servant sa chicorée que je
trouvai délicieuse.
    « Élise, comme la lettre »…
     
     
     
     
    14
     
     
     
     
     
    Georges a fait la gueule quand je lui ai fait comprendre avec
moult diplomatie que je souhaitais rendre visite seul à Élise.
    – Et moi ? qu’il a dit.
    – Je serai là pour déjeuner…
    – T’es sûr que tu vas retrouver le chemin tout seul au bout de
soixante ans ? Tu sais, ça s’est drôlement construit depuis
par là…
    Mais ce fut sa dernière tentative pour m’accompagner.
    – Les yeux fermés que je la retrouverai, je lui ai dit pour
couper court.
    En fait, avec leur manie de foutre des ronds-points partout, et
même en rase campagne, et toutes ces zones pavillonnaires, j’ai eu
un mal fou à m’y retrouver. Mais j’ai trouvé !
    Quand je me suis garé dans la cour gravillonnée, j’avais à peine
coupé le contact qu’Élise est apparue sur le seuil de la
cuisine.
    Comme si elle m’avait attendu.
    Je ne sais pas pourquoi, mais j’avais le trac en descendant de
voiture et en m’avançant vers elle.
    – Je savais que c’était toi, elle a dit simplement.
    – Élise, comme la lettre…
    Elle m’a tendu ses bras et je l’ai serrée très fort contre moi
en pleurant.
    – Riton, que je disais, mon pauvre Riton…
    Elle aussi a pleuré. Puis elle s’est écartée et m’a dit, en
essuyant ses larmes et en riant tout à la fois :
    – Je préfère que tu m’appelles Élise…
    – T’as pas changé ! que j’ai dit bêtement.
    – Pourtant, tu ne m’as pas reconnue à la réception.
    – Excuse-moi, j’imaginais pas.
    – Mais je savais que tu viendrais, elle a dit en me prenant par
la main et en me faisant entrer dans la cuisine qui n’était plus la
cuisine et était devenue une immense salle de séjour.
    Nous sommes restés assis un long moment silencieux, côte à côte
sur le canapé face à la cheminée sans feu.
    C’est elle qui a fini par rompre le silence de nos
retrouvailles.
    – J’ai longtemps attendu de tes nouvelles… mais sûrement que
j’étais trop jeune à l’époque pour que tu te souviennes de moi. Je
sais que tu as parfois écrit aux parents dans les années qui ont
suivi, mais je n’avais pas ton adresse pour te prévenir de leur
décès. Trop de temps s’était écoulé…
    Nous nous sommes longuement raconté nos vies respectives et
n’avons pas vu l’heure du déjeuner passer.
    – Merde ! j’ai fait. Faut que j’appelle Georges !
    Élise a sursauté. Comme si je la tirais d’un rêve.
    – Quoi, Georges ?
    – On devait déjeuner ensemble. Faut que je l’appelle.
    – Ben, appelle-le !
    – Mais j’ai oublié mon portable.
    Elle m’a indiqué d’un geste de la main le poste fixe.
    Georges a d’abord grogné, puis il s’est montré compréhensif.
    Je n’avais plus envie de quitter Élise. Nous avions encore tant
de choses à nous dire.
    Nous n’avions pas vraiment faim ni l’un ni l’autre, mais Élise a
jugé qu’il ne fallait pas rester le ventre creux lorsque l’on
vivait de grandes émotions.
    – Tu es content d’être venu pour la commémoration ?
m’a-t-elle demandé tout en préparant un plateau froid.
    – Oui. Maintenant, oui.
    Elle m’a jeté un sourire énigmatique.
    – Tu sais, lui ai-je avoué, ces choses-là, je ne cours pas après
habituellement.
    – Je sais. Tu es venu aux deux premières et après on ne t’a plus
revu. Moi, j’y ai été présente à chaque fois et, à chaque fois,
j’espérais t’y voir. Au moins t’y voir…
    Il y avait un peu de tristesse voilée dans sa voix. Mais ce
n’était pas un reproche. La simple constatation d’une attente
chaque fois déçue.
     – Pourquoi cette fois ? À cause du soixantième
anniversaire ?
    – Georges a insisté. Nous sommes les deux seuls survivants et il
a estimé que je leur devais au moins ça. Ce sont ses propres
termes…
    – Comment tu l’as trouvé, après tout ce temps ?
    – Bien. Enfin, je veux dire pour son âge, mais il semble mal
vivre son veuvage. Ginette et lui…
    Je me tus, car je lus subitement une lueur de dureté dans le
regard d’Élise. Je préférai abandonner le terrain délicat de
l’évocation de Ginette.
    – C’est curieux, mais il