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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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galerie dont les baies donnent sur la cour, le parc et la campagne. C’est là qu’il prétend se reposer après le travail, mais, en réalité, il n’y a pas d’après ; même quand il s’amuse ou se distrait avec ses proches, le travail continue. En ce moment, s’il joue aux échecs avec son gendre, Pierre de Beaujeu, il a probablement des idées en tête et des questions à poser qui n’ont aucun rapport avec la partie. Sa fille Anne assiste à celle-ci dont l’issue ne saurait tarder. Elle attend la conversation qui va suivre, à laquelle elle prendra part, car elle connaît son père et sait qu’il ne l’a pas conviée à ses côtés pour rien.
    Louis déplace un cavalier sur l’échiquier et constate avec discrétion :
    — Échec et mat, Pierre !
    — Vous êtes trop fort pour moi, Sire, répond Pierre de Beaujeu sans apparente humilité.
    — Je n’en suis pas sûr. Mais ce serait un mauvais calcul de me laisser gagner.
    — Grâce à Dieu, cette intention ne me ressemble pas.
    Anne qui se tient debout, derrière eux, les mains inoccupées sur sa robe et comme en attente, intervient sur un ton plus réfléchi que badin :
    — Un mauvais calcul ? Comment l’entendez-vous, mon père ?
    — Ce que j’ai appris de précieux dans la vie, je le dois aux échecs que j’ai subis. Quand tout me réussissait, je finissais par faire des bêtises… comme Charles de Bourgogne, mon ennemi juré. Il n’avait que des atouts en main. À force de bonnes fortunes, il s’est retrouvé tout nu, le cul sur la glace et le nez dévoré par les loups. Ah, ça rapporte, les atouts !
    Anne sourit et devient aussitôt jolie, car son visage d’une blancheur un peu froide rosit et son regard, moins gouverné par l’attention, se libère. Au Plessis, tout le monde paraît ignorer qu’elle a vingt ans, à commencer par Pierre, son mari, qui a l’âge d’être son père. Leurs sentiments suivent l’accord de leurs idées. C’est un couple uni, sérieux, cimenté par la raison d’État. L’imaginer précaire et limité aux intérêts du moment serait une erreur.
    Louis se penche sur l’échiquier, s’empare du cavalier d’ivoire et l’approche de ses yeux, de son nez comme pour en juger l’allure et l’odeur.
    — Il ressemble au petit duc, dit-il en étouffant un rire. Pierre, que penses-tu de lui ? Le crois-tu dangereux ?
    — Non, Sire. Pas encore.
    — Pas encore ? Explique-toi.
    — Il me semble, mais je peux me tromper, que votre cousin ne se réfugie dans la galanterie que pour se savoir écarté momentanément du pouvoir. S’il voyait, demain, se dessiner pour lui un avenir politique, peut-être changerait-il de conduite.
    — Peut-être, oui. Et toi, Anne, tu ne dis rien ?
    — Louis d’Orléans aime trop le plaisir pour se piquer au jeu des affaires. Il ne sera jamais ambitieux qu’en amateur.
    — À ta manière, tu le défends. C’est normal. Vous avez le même âge.
    Accompagnée d’un demi-sourire, la remarque du roi n’a rien d’innocent. Anne serre les lèvres et réussit à ne pas rougir avant de répliquer sur un ton dont la vivacité se contient :
    — J’aurais mauvaise grâce à le défendre, mon père, alors qu’il méprise ma sœur en public, qu’il la ridiculise en insistant sur les disgrâces de sa nature. Certes, il n’est pas avantageux pour un homme ardent comme lui, toujours en appétit de femmes, d’avoir épousé Jeanne, mais pourquoi se venge-t-il sur elle ?
    — Tu le sais très bien. Parce qu’il ne peut se venger sur moi.
    — Jeanne est la douceur, la bonté même.
    — La bonté à genoux. Je n’aime pas la résignation.
    Il se lève, fait deux pas en direction de la porte, chancelle, se retourne et revient s’asseoir. Il a présumé de ses forces et cache sous la table sa main droite qui commence à trembler. Furieux d’être observé, d’éveiller l’inquiétude ou la compassion, il dévisage son gendre sans aménité, puis sa fille avec impatience et reprend d’une voix que la fermeté enroue :
    — Si vous tenez à ma bonne humeur, ne me parlez plus de Jeanne.
     
    Que l’on parle d’elle, voilà ce que redoute Jeanne de France. Anxieuse, elle rougit quand on s’incline sur son passage, car elle prévoit des chuchotements. Aucune robe de cérémonie balayant le parquet ne pourrait corriger sa démarche, ni

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