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Le Dernier mot d'un roi

Le Dernier mot d'un roi

Titel: Le Dernier mot d'un roi Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Moustiers
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se donner bonne conscience, il ordonne que je couche avec Jeanne. Plutôt mourir. »
    Le duc d’Orléans ne ment pas, même si sa colère ignore les nuances et si son intelligence méconnaît l’ambiguïté des sentiments du roi. Il est indéniable, en effet, que Louis XI a commandé ce mariage pour priver de descendance la maison d’Orléans dont il convoite les terres insérées dans son domaine : « Il me faudra les avaler un jour ou l’autre. » Prévoyant la stérilité de sa fille et rassuré sur ce point par les médecins : « Aucun doute, Sire, Mademoiselle de France ne peut enfanter », il a mené cette affaire d’État sans hésitation ni scrupule. Mais, aujourd’hui, certaines rumeurs le gênent.
    Il ne pardonne pas au « petit duc » de négliger son épouse chrétienne de manière ostensible et d’autoriser par là même de méchants commentaires. Ce n’est pas seulement pour se donner bonne conscience qu’il espionne et menace le mari volage, qu’il fait emprisonner et tourmenter ses conseillers. À travers les offenses morales qu’endure Jeanne et dont lui-même est responsable, il se sent outragé. Inaccessible au remords, il pourrait cependant éprouver un malaise diffus, comparable à celui que lui inspire avec agacement la délicatesse ou la sensibilité des femmes.
    L’ambition est imprévisible. On se félicite de la tenir en laisse, alors qu’elle n’en fait qu’à sa tête. Louis d’Orléans croyait l’avoir apprivoisée, rangée dans le futur, en réserve, endormie pour l’année. Elle vient de se réveiller en sursaut, de lui jeter son impatience au visage. Et désormais, tout va changer. Le petit duc comprend qu’il n’a plus le droit de s’amuser, de se dérober, de reculer, qu’il doit grandir, égaler son destin : « Je suis appelé à régner. Aucune force au monde, aucun tyran ne peut me barrer la route. Aucune logique, aucune sagesse ne saurait distraire cette évidence : je serai roi de France. » Il fait trois pas en arrière sans perdre de vue le miroir, puis se détourne carrément de son image et embrasse du regard la salle de justice qu’il trouve à présent magnifique, digne de l’avenir qu’il se promet. Ces deux nefs séparées par une procession de colonnes édifiantes et ces guerriers en couleurs alignés sur les fresques, ce rayon de lumière qui traverse la rosace de la fenêtre et glisse sur le carrelage jusqu’à ses pieds lui rappellent qu’il est né dans ces murs, fils de Charles d’Orléans et prince du sang.
    Il n’avait pas trois ans à la mort de son père. Il se souvient de lui comme d’un vieil homme tout blanc. Mais s’agit-il vraiment d’un souvenir ? Il y a tant de rêve et d’imagination dans une mémoire. Lors des obsèques, il marchait à la droite de sa sœur Marie, une grande fille de huit ans, déjà. Il portait une longue tunique de drap fin avec un manteau fourré d’agneau noir. Ce costume dont sa mère lui a parlé à plusieurs reprises le trouble aujourd’hui : « Pourquoi de l’agneau noir ? » Comme tous les hommes superstitieux, il se défend de l’être. Et puis, il ne voudrait pas ressembler à son père, ce rêveur, ce poète qui a écrit et s’en est vanté : « Je suis celui au cœur vêtu de noir. »
    Soudain, il ressent le besoin impérieux de remuer, de marcher vite, de surmener son corps pour libérer toute sa pensée, la mettre en ordre. Il quitte la salle en coup de vent, dégringole l’escalier, gagne la cour au pas de charge, puis l’écurie où l’attendent Victorien, le palefrenier, ainsi que Faraude, une rouanne au front marqué de feu. Il effleure l’encolure satinée de la jument et demande à Victorien pour la forme :
    — Comment est-elle ?
    — Un régal, Monseigneur. Elle est à point.
    D’un bond, le duc monte en selle. Faraude frémit du toupet à la queue et se défend de danser des quatre fers, mais sitôt hors de la cour, devant le pré qui s’étend jusqu’à la forêt, elle attaque le galop sans attendre un signe de son maître que cette désobéissance enchante. Il la remercie d’une claque sur l’épaule, s’abandonne au vent de la course et reprend son monologue intime, trouvant chaque mot selon le rythme imposé par les secousses : « Le royaume de France n’a que faire d’un poète, encore moins d’un vieillard. Il lui faut un homme jeune, un

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