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Le dernier royaume

Le dernier royaume

Titel: Le dernier royaume Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Bernard Cornwell
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part
surveiller les Danes. D’ailleurs, pourquoi auraient-ils fait davantage ?
La trêve était prononcée, Guthrum avait juré sur le Saint Anneau, et le Wessex
était en paix.
    La fête de Yule fut peu de chose à Werham, même si les Danes
firent de leur mieux et qu’il nous fut servi suffisamment d’ale pour que tous
s’enivrent ; mais mon souvenir le plus marquant de cette Yule fut d’avoir
vu Guthrum pleurer. Les larmes ruisselèrent sur ses joues tandis qu’un harpiste
jouait un air triste et qu’un scalde récitait un poème sur la mère de Guthrum.
Sa beauté, disait le scalde, n’avait d’égale que celle des étoiles, et sa
douceur était telle que les fleurs jaillissaient en plein hiver pour lui rendre
hommage.
    — C’était une garce, me chuchota Ragnar. Et laide comme
un seau de crottin. Ravn l’a connue. Il disait qu’elle avait une voix à
déraciner les arbres.
    Guthrum méritait bien son surnom de
« Malchanceux ». Il avait frôlé d’un cheveu l’anéantissement du
Wessex et seule la mort d’Halfdan l’avait privé de sa récompense. Ce n’était
pas sa faute, mais une rancœur sourde couvait au sein de l’armée prisonnière.
On murmurait que rien ne pourrait réussir sous l’égide de Guthrum. Peut-être
cette défiance l’avait-elle rendu d’humeur plus sombre. À moins que ce ne fût
la faim.
    Car les Danes étaient affamés. Alfred tenait parole et
envoyait un peu de vivres, et je ne comprenais pas pourquoi les Danes ne
mangeaient point leurs chevaux. Les bêtes maigrissaient affreusement, leur
pitance étant à peine agrémentée de paille. Quand elle fut épuisée, les Danes
arrachèrent le chaume de quelques maisons, et cela permit aux chevaux de
subsister jusqu’aux premiers rayons du printemps. J’accueillis avec joie les
signes de la nouvelle année : le chant d’une grive, les violettes poussant
dans les sous-bois, les chatons sur les noisetiers et les premières grenouilles
coassant dans les marécages. Le printemps arrivait, et lorsque la terre aurait
verdi, Guthrum s’en irait et les otages seraient libérés.
    Nous n’avions que peu de nouvelles, mais parfois un message
était apporté à l’un d’entre nous, et j’en reçus un. Pour la première fois, je
fus reconnaissant à Beocca de m’avoir appris à lire, car le père Willibald
m’écrivait pour m’annoncer la naissance d’un fils. Mildrith avait accouché
avant Yule, et le garçon, qu’elle avait prénommé Uhtred, était en bonne santé
tout comme elle. Je pleurai en lisant cela. Je ne m’attendais pourtant pas à
éprouver autant d’émotion, et lorsque Ragnar me demanda pourquoi je pleurais et
que je le lui expliquai, il fit sortir un tonneau d’ale et nous fêtâmes
l’événement. Puis il me donna un minuscule bracelet d’argent pour l’enfant.
J’avais un fils. Uhtred.
    Le lendemain, j’aidai Ragnar à remettre à flots la Vipère qui avait été tirée au sec. Nous remplîmes la cale de pierres qui servaient
de lest, gréâmes le mât, puis nous offrîmes en sacrifice un lièvre capturé dans
les champs où les chevaux tentaient de paître, et Ragnar versa le sang de
l’animal sur la coque du navire en invoquant Thor, pour qu’il nous donne un
vent favorable, et Odin pour obtenir de grandes victoires. Nous mangeâmes le
lièvre au souper et terminâmes l’ale, et le lendemain matin un navire viking
arriva du large. Je fus étonné qu’Alfred n’ait point ordonné à sa flotte de
patrouiller dans l’embouchure de la Poole, mais ce vaisseau dane solitaire
remonta donc apporter un message à Guthrum.
    Cette nuit-là, Guthrum offrit aux otages un copieux festin,
avec les vivres et l’ale qu’avait apportés le navire dane. Il nous félicita
d’avoir été des hôtes exemplaires et nous offrit à chacun un bracelet avec la
promesse de notre libération prochaine.
    — Quand ? demandai-je.
    — Bientôt ! (Son long visage luisait dans le feu
tandis qu’il levait sa corne d’ale à ma santé.) Bientôt ! Maintenant, bois !
    Nous bûmes tous, et après le festin, les otages se rendirent
au couvent où Guthrum tenait à ce que nous passions la nuit. Le jour, nous
pouvions nous promener à notre guise dans la ville, avec nos armes si nous le
souhaitions ; mais la nuit il voulait que tous les otages soient réunis au
même endroit, afin que ses gardes vêtus de noir puissent garder un œil sur
nous. Ce furent ces mêmes gardes, brandissant des torches, qui se

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