Le dernier royaume
la grimace et continua d’arpenter la tente en silence.
— Il me sied que tu sois marié, lança-t-il brusquement.
— J’ai épousé une dette.
Mon ton lui déplut, mais il ne releva point.
— La dette, Uhtred, répondit-il, réprobateur, est
envers l’Église, tu dois donc l’accueillir avec bienveillance. Par ailleurs, tu
es jeune, tu as le temps de payer. Le Seigneur aime celui qui donne de bon
cœur. J’attends ta présence aux négociations, dit-il en tournant les talons et
en me jetant un dernier regard.
Sans plus d’explication ni attendre de réponse, il
s’éloigna.
Un dais avait été dressé entre le camp d’Alfred et la
forteresse de Werham, et c’est sous cet abri que la trêve était laborieusement
négociée. Alfred aurait aimé attaquer Werham, mais la muraille était élevée et
en très bon état, et les Danes nombreux. Les Danes, quant à eux, étaient pris
au piège. Ils comptaient qu’Halfdan vienne attaquer Alfred par l’arrière, mais
Halfdan était mort en Irlande. Les troupes de Guthrum étaient trop nombreuses
pour être transportées par bateau, si grande soit la flotte, et s’ils tentaient
une sortie par la terre, ils seraient contraints de combattre Alfred sur une
étroite langue de terre. Je me souviens que Ravn disait que les Danes
craignaient de perdre trop d’hommes, car ils ne pouvaient les remplacer
rapidement. Guthrum pouvait rester là où il était, bien sûr, mais Alfred
l’assiégerait et les Danes allaient être affamés l’hiver venu.
Ainsi les deux parties aspiraient à la paix, et j’arrivai
alors qu’Alfred et Guthrum finissaient d’en discuter les termes. Alfred avait
accepté que Guthrum passe l’hiver à Werham. Il avait aussi accepté de fournir
des vivres et de l’argent, à condition que les Danes n’exercent point de
pillages. En retour, ils promettaient de rester paisiblement à Werham et de
partir tout aussi paisiblement le printemps venu.
Personne d’aucun côté ne croyant aux promesses de l’autre,
chacun demanda des otages. Ils devaient être de rang, sans quoi ils ne
garantiraient rien. Une dizaine de jarls danes qui m’étaient tous inconnus
furent livrés à Alfred, et le même nombre de nobles angles à Guthrum.
C’était pour cela qu’on m’avait fait mander. Pour cela
qu’Alfred s’était montré si distant avec moi, car il savait depuis le début que
je serais l’un d’eux. Mon rang avait encore du poids, et c’est ainsi que je fus
choisi. J’étais l’ealdorman Uhtred, utile simplement parce que j’étais noble,
et je vis Odda le Jeune sourire largement lorsque les Danes acceptèrent mon
nom.
Guthrum et Alfred échangèrent ensuite des serments. Alfred
insista pour que le chef des Danes jure sur les reliques qu’il transportait
toujours avec lui : une plume de la colombe que Noé avait lâchée depuis
son arche, un gant ayant appartenu à saint Cedd, et, plus sacré que tout, un
anneau d’orteil de Marie Madeleine, qu’Alfred appelait le Saint Anneau. Et ce
fut un Guthrum perplexe qui posa la main sur le débris d’or en jurant qu’il
tiendrait sa promesse, avant d’exiger d’Alfred qu’il pose la sienne sur l’os
qu’il avait dans les cheveux.
C’est seulement une fois ces serments prononcés, et
sanctifiés par l’or d’une sainte et l’os d’une mère, que les otages furent
échangés. Et lorsque je traversai l’espace vide entre les deux camps, Guthrum dut
me reconnaître, car il posa sur moi un long regard pensif. Après quoi, nous
fûmes escortés en grande cérémonie à Werham.
Où m’accueillit le jarl Ragnar, fils de Ragnar.
Il y eut grande joie dans ces retrouvailles. Ragnar et moi
nous étreignîmes comme des frères, car je le considérais comme tel, puis il me
donna de grandes tapes dans le dos, servit l’ale et me narra les nouvelles.
Kjartan et Sven étaient encore en vie et demeuraient à Dunholm. Ragnar les
avait rencontrés lors d’une entrevue officielle où les armes étaient
interdites, Kjartan avait juré qu’il était innocent de l’incendie du château et
qu’il ne savait rien du sort de Thyra.
— Ce bâtard mentait, me dit Ragnar. Et je le savais.
Quant à lui, il sait qu’il va mourir.
Brida, qui partageait la couche de Ragnar, m’accueillit
chaleureusement, mais pas autant que Nihtgenga, qui sautillait et me léchait le
visage. Brida fut amusée d’apprendre que j’allais être père.
— Ce sera bon pour toi,
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